Pour cette première rentrée littéraire d'hiver, Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture propose une rencontre avec 15 auteur·es et la découverte d’autant de romans et de récits. Plus d'infos sur la rencontre du lundi 30 janvier.
Au fil d'une mémoire capricieuse, Emmanuel Venet explore le capharnaüm dont nos vies sont faites - chair, paroles, histoire, culture. Avec humour, l'auteur évoque son enfance lyonnaise et son éducation à l'ombre de parents pénétrés de religion catholique et de valeurs conservatrices, son parcours spirituel, ses désillusions amoureuses, ses affinités littéraires, ou encore son expérience de psychiatre.Si les vingt-six chapitres de cet abécédaire se présentent comme des nouvelles autonomes, de A comme «auberge» à Z comme «Zweig», leur suite dessine - dans une langue splendide frayant entre récit intime, réflexion, anecdotes savoureuses et poésie - un itinéraire, et un monde intérieur fait de pièces et de morceaux, de rencontres et de surprises, de lieux communs et d'événements singuliers.
«Depuis la nuit des temps, la forêt nous a nourris et protégés. En retour, nous avons exploité ses moindres ressources, jusqu'à l'épuiser.Aujourd'hui, dans un quotidien souvent anxiogène, nous ressentons plus que jamais le besoin de retrouver le lien qui nous unit à cet espace, pour nous ressourcer.J'ai grandi à l'orée de deux forêts, dans les plaines feuillues des Yvelines et les massifs résineux de Haute-Savoie.Deux lieux représentatifs de la manière dont les bois nous ont façonnés tout au long de notre histoire, et dont j'ai exploré le rôle, l'évolution, découvrant quelques mystères en chemin.Lors de cette immersion, j'ai rencontré des forestiers, des historiens, des musiciens... et même un druide, qui m'ont raconté comment ils vivaient cet univers de branches, de feuilles, de terre et de ciel.Cette promenade historique et sentimentale illustre comment la forêt continue de nous imprégner, de nous former en tant qu'êtres sensibles. Et de nous rappeler que, dans les bois plus qu'ailleurs, nous restons partie intégrante du grand monde naturel.»
Des champs sauvages, trois fermes, une école à classe unique à l'ombre d'un orphelinat abandonné. Au village, on dit que toutes ses pensionnaires y sont mortes d'un coup, fauchées par la grippe espagnole au lendemain de la Grande Guerre. On ne sait rien de plus. Une enfant refuse l'oubli. Les orphelines sont ses fées. Alors, quand des promoteurs débarquent pour construire un lotissement à l'endroit de leurs tombes, elle promet de revenir, adulte et conquérante. De sauver la colline et ses légendes.
Dans ce premier roman somptueux, Isabelle Rodriguez réactive l'imaginaire propre au temps de l'enfance. Sa langue sensuelle et incantatoire convie le mystérieux et le sacré, la beauté des campagnes et la culture ouvrière des monts du Lyonnais où elle a grandi et où elle est revenue vivre. Magnifique réflexion sur l'héritage et la préservation des traces, Les Orphelines du mont Luciole prolonge son travail de plasticienne dédié aux oubliés de l'histoire.
Le narrateur, comptable de son état, installe sa mère dans une maison de retraite. C'est un déchirement mais aussi l'occasion pour lui d'évoquer la vie d'une femme lumineuse qui a quitté l'Italie fasciste pour s'installer dans les Alpes françaises. Le voyage faillit tourner court, car sans le sou, elle n'avait qu'un billet de train pour Modène (en Émilie-Romagne) et non pour Modane où l'attendait son père.
Fabié vit avec sa grand-mère, un chat, une télé, un fils, des livres et tout un tas de morts et de vivants.
Je serai jamais morte nous ouvre la porte de cette cohabitation insolite où quotidien et souvenirs, dialogue et prose se mêlent pour offrir une saga familiale des plus vivantes.
Lysiane n'a jamais voulu être mère, et Jolene n'a jamais considéré comme telle cette tornade blonde aux ongles rouges qui débarquait un lundi sur trois à l'auberge de ses parents pour lui couper les cheveux et faire des remarques acides.
L'enfant grandit loin dans sa paisible province pendant que la mère, partie à la ville, s'épuise à combattre des moulins. Jusqu'à ce qu'elle pose les yeux sur cette fille dont elle ne s'est jamais souciée. Et décide qu'elle sera sa revanche sur la vie.
Un conte cruel où les liens du sang déchirent au lieu d'unir, blessent au lieu d'apaiser. Avec en fil rouge la musique, quête de gloire illusoire ou exutoire salvateur.
Au coeur de l'Allemagne, l'International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d'investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu'elle élève seule depuis son divorce d'avec son mari allemand.
A l'automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d'objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé... Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l'Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ?
Le bureau d'éclaircissement des destins, c'est le fil qui unit ces trajectoires individuelles à la mémoire collective de l'Europe. Une fresque brillamment composée, d'une grande intensité émotionnelle, où Gaëlle Nohant donne toute la puissance de son talent.
Aux États-Unis, Virginia, éleveuse de chevaux, rescapée du premier « méga-feu » à avoir rasé la ville entière de Paradise quinze ans plus tôt, est à la recherche de son père qui les a abandonnés à l'époque dans une Californie aujourd'hui ravagée ; au coeur de la Sibérie, Ianov, ancien soldat revenu d'Ingouchie parti s'isoler dans une ferme que les flammes viennent de détruire, emmène sa jument réchappée et blessée pour son dernier voyage. Au fil de ce chemin, les rejoignent des animaux jusque-là sauvages. Avec eux Ianov réinvente son humanité, mais la folie des hommes le rattrape ; au Kurdistan, Asna et Olan combattent la politique de la terre brûlée des terroristes et quand leur dernier champ de blé disparaît, face à la méfiance cruelle des villageois, ils finissent par fuir.
Et quand, à New York, des enfants s'immolent devant les tours de Wall Street, tous ces naufragés aimantés par ce drame, vont s'y rendre.
Mertvecgorod, tournant de l'an 2000.
Pour fuir une misère à laquelle ils sont socialement prédestinés, cinq ados noient leur lucidité dans toutes les drogues possibles et une bande-son pop, punk et indus russe des années 1980-90, romantique et rebelle.
Mais l'assassinat de leur voisine Valentina, vieux travesti à la vie mystérieuse, va révéler une ombre bien plus dangereuse que leur petite délinquance ordinaire.
Sous une trame impeccable de roman noir, Valentina fait la chronique d'une adolescence dans l'atmosphère d'une mégapole tentaculaire quelque part entre le Londres de Jack l'Éventreur et le Los Angeles cyberpunk de Blade Runner, transposés dans un postsoviétisme apocalyptique et décadent.
Etienne rentre de vacances avec sa famille parfaite et son apparent bien-être. Sa vie est confortable, routinière. Il mène une vie normale, c'est l'essentiel.
Quand soudain, on annonce à la radio la mort de Jean-Jacques Goldman.
Avec cet adieu au totem et au ciment des classes moyennes, Aurélien Delsaux tire à vue sur notre époque, et il la touche en plein coeur.
À Bar-le-Duc, depuis des siècles, les « épépineuses » prélèvent à la plume d'oie les pépins des groseilles dont on fait la confiture des rois. Ailleurs, sur le parvis d'une église tournoie un danseur de hip-hop. Ailleurs encore, un père s'inquiète du geste qui percera la narine de son ado, tandis qu'un aveugle croisé dans un train caresse les sourcils de son chien. M. Foucauld, lui, lève la main vers le ciel - vers quoi ? - en souvenir du petit Paul. Ziquet tombe du toit et, dans un réflexe inespéré, pivote et se réceptionne tel un chat.
Ces gestes qui se passent de mots, qu'ont-ils de plus beau que les mots ? Et que dire des gestes de l'amour ? Du dernier geste adressé à un défunt ? De la violence, parfois, des gestes qui sauvent ?
De récit en récit, Yves Bichet compose un tableau pointilliste dont il ressort un seul récit : celui d'un ancien maçon-couvreur devenu écrivain pour qui « la vérité de tous ces gestes n'est évidente que si la défaite se profile, que si la fatigue ou la faute sont là, menaçantes, en embuscade »...
Une maman attentive s'occupe de son fils quadragénaire: elle le loge, lui prépare à manger, veille à ce qu'il prenne son traitement, respecte ses routines et le dissuade efficacement de quitter ce cocon rassurant. Le monde extérieur est tellement menaçant... L'alternative aux routines semble être la crise, alors la mère et le fils planquent leurs fragilités sous la force de l'habitude. Ils parlent et déparlent, les rôles flottent, la logique s'estompe, mais les deux s'en tiennent à un salvateur bon sensÂ: pour que rien ne change, il faut que rien ne change. Autrement dit, il faut que tous les jours on fête la Sainte-Recommence ! Pour l'instant, ça tient.
Avec cette pièce en un acte, au décor minimaliste, Emmanuel Venet nous plonge au coeur d'un huis-clos entre deux êtres cabossés qui poursuivent un simulacre de dialogue dans lequel les mots, comme frappés d'insignifiance, servent la logique aliénante de la routine en oubliant la potentialité libératrice de la parole.
Pour avoir longtemps exercé la psychiatrie à l'hôpital public, Emmanuel Venet a fréquenté de près la folie - celle des patients comme celles des institutions - et son inspiration ne peut complètement s'abstraire de cette expérience bouleversante, à bien des égards. La Sainte-Recommence s'ajoute à une série de proses littéraires nourries de ce parcours : Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud (Verdier 2006); Plaise au tribunal (La Fosse aux ours 2017); Observations en trois lignes (La Fosse aux ours 2020); Schizogrammes (La Fosse aux ours 2022). À ces écrits purement littéraires, il faut ajouter un texte plus technique, Manifeste pour une psychiatrie artisanale (Verdier 2020), qui dénonce l'évolution vers une psychiatrie protocolisée, numérique et de moins en moins relationnelle.
Cette récurrence de l'inspiration psychopathologique dans l'oeuvre d'Emmanuel Venet reflète non seulement sa position critique envers les pratiques soignantes, mais aussi un principe d'incertitude qui devrait, d'après lui, guider les théoriciens comme les cliniciens. La Sainte-Recommence donne à ce principe une illustration chatoyante : malgré les rôles assignés, il est vite clair que chaque personnage entretient avec la réalité des relations à la fois extravagantes et ordinaires - entrelacs qu'aucune sémiologie médicale ne saurait épingler dans ses catégories. Il en surgit une poésie de l'indécidable, un humour baroque et un coup de chapeau malicieux à la complexité de l'âme humaine.
Raphael est violoncelliste et ne vit qu'à travers son instrument. Cette passion l'a éloigné depuis onze ans de sa fille Maude. Mais quand il apprend qu'elle a disparu lors d'un voyage aux Îles Féroé, il part aussitôt dans cet archipel nordique...
Parce que ça commence comme une histoire d'amour presque banale, le fantastique discret qui s'invite au détour d'une page pourrait bien vous faire perdre les pédales. D'ailleurs tout est ici perte d'équilibre : on se ruine les chevilles sur les galets, on trébuche sur les falaises, on vacille de faux souvenirs en vrais mensonges, on titube de bar en bar. Le roman est entièrement construit pour mettre votre équilibre à l'épreuve, tout en sauts de puce, flash-back, ellipses, béant comme des trappes sous vos pieds candides, changements de ton et de décor brutaux.
« Dans les pas de Zohre, je marche sur les traces de mon père. Je ne me fraie pas seulement un chemin dans la montagne, je descends et je remonte le long d'un fil ténu. Je dévale derrière Zohre et je le cherche lui. Mon père.
Il est venu par ici, dans les montagnes du nord de l'Iran. Il descendait du Trône de Salomon, la neige couvrait tous ces versants. C'était en 1956, il avait 27 ans, il brassait la neige.
Plus tard, je suis née. Il s'appelait Émile, on l'appelait Milou, je m'appelle Émilie. Il m'a appelée Émilie.
Cela fait trente ans qu'il n'est plus de ce monde et je marche sur ses traces sous les pas de Zohre. J'ai fouillé ses papiers, ses pitons, j'ai interrogé ses témoins, sa jeunesse, je questionne mes souvenirs, mon enfance, je le cherche sur la montagne et dans ma mémoire. »