Deux drames marquent ces quatre nouvelles : la guerre - Kenzaburô Ôé avait dix ans en 1945 -, et la naissance, en 1964, de son fils anormal qui lui a révélé le véritable chemin de la vie. Si les récits de Kenzaburô Ôé ne sont jamais totalement autobiographiques, tous en revanche prennent naissance dans son expérience personnelle.Dans Gibier d'élevage, l'auteur décrit l'impact sur les esprits, dans un village montagnard, de la présence d'un prisonnier noir américain. Dans Dites-nous comment survivre à notre folie, nous ont contés les efforts d'un père pour nouer avec son fils handicapé mental des relations aussi étroites et fines que possible. La dernière nouvelle est l'un des textes les plus déconcertants et les plus complexes de ce romancier qui fut couronné par le prix Nobel en 1994.
Annexée par le Japon à la fin du XIXe siècle, l'île d'Okinawa a été le théâtre d'une sanglante bataille d'avril à juin 1945, qui a décimé plus d'un quart de la population, avant d'être placée sous administration américaine, qui y établit des bases abritant des armes atomiques et biologiques.
Ôe Kenzaburô, dans ce texte âpre, lyrique et désolé, est une voix sans concession, à la colère sans remède, portée par les rencontres et les amitiés scellées avec les habitants de l'île, dont il détaille l'oppression et suit les combats de près.
Cette rencontre avec Okinawa le confronte à la définition de l'identité du Japon en tant que nation, et de ses habitants. Et de lui-même.
Retiré dans sa résidence, un romancier vieillissant affronte avec un ami d'enfance sa propre disparition face à la destruction possible d'un monde auquel il appartient. Chôkô Kogito entreprend ainsi l'écriture d'un nouveau roman "à l'intérieur même de ma vie". Dans cette maison propice à l'échange de vues et à la méditation, le romancier et ses invités parlent des ans qui s'accumulent, commentent ces compagnons de vie que sont Mishima et le poète T-S Eliot, convoquent Céline, Beckett et Dostoïevski dans des digressions au cours desquelles s'échafaudent des théories romanesques aussi bien que politiques.
"Je veux seulement tenter de réfléchir à la façon dont, en tant qu'écrivain, il m'est possible de vivre la fin de ma longue vie alors que je me trouve confronté à une grande catastrophe" (entretien avec Philippe Forest, La nrf - Du Japon). Ainsi s'écrit devant nous un roman surgi de l'inquiétude, de la possibilité de vivre poétiquement dans cette "Terre vaine" que prophétise le poète, sans cesse menacée, et dont la catastrophe de Fukushima est, pour l'écrivain, un signe prémonitoire.
Né en 1935 dans un hameau ancestral d'une petite île du Japon encore couverte de forêts, Kenzaburô Ôé appartient à la génération qui subit de plein fouet la capitulation de son pays au terme de la Seconde Guerre mondiale. Quittant son île natale, il s'installe à Tokyo, petit provincial égaré à l'accent incompréhensible, pour étudier la littérature française. Et déjà, il donne ses premiers écrits. Son parcours personnel singulier est indissociable d'une oeuvre d'une ampleur et d'une variété saisissantes où peuvent se lire en filigrane tous les combats, les défis et les contradictions qui ont émaillé l'histoire du Japon, des bombardements atomiques à la catastrophe de Fukushima. La violente formation nationaliste endurée à l'école, qui dès l'enfance a préparé Ôé à mourir en héros au combat, sacrifié à un empereur divinisé, la mort de son père durant les derniers mois de la guerre, le drame de Hiroshima, la naissance de son fils gravement handicapé sont autant de situations traumatisantes qui nourrissent son oeuvre. Il transforme sa propre souffrance en expression de la condition humaine, et s'engage en faveur des minorités, des faibles, de ceux qui cherchent le salut dans un monde absurde, s'opposant au Pouvoir et surtout à l'Atome. Depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, il apparaît plus que jamais comme une conscience mondiale, un défenseur de la Nature en perdition. Le prix Nobel de littérature lui a été décerné en 1994.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des enfants d'une maison de correction fuient les bombardements et se réfugient dans un village de montagne. Leur éducateur les place sous l'autorité d'un maire convaincu qu'un mauvais enfant doit être supprimé «dès le bourgeon». Le jeune narrateur et son petit frère font partie de ce groupe de délinquants bientôt à la merci des villageois haineux, qui les contraignent à enterrer des animaux victimes d'une épidémie. Quand trois personnes meurent, contaminées, les villageois, pris de panique, abandonnent le village en y enfermant les enfants, qui prennent possession des maisons désertées et esquissent même les règles d'une vie en société. Temps suspendu, unique dans cette histoire de bruit et de fureur, où s'expriment les douceurs de la fraternité et les joies d'un premier amour. Malgré la présence d'un jeune Coréen et d'un soldat déserteur qui tentent de les aider, l'affrontement avec les villageois de retour ne pourra être évité.Cette impressionnante fable sociale écrite en 1958 appartient à la grande veine de Kenzaburô Oé. Densité, richesse d'analyse, foisonnement de l'imagination, violence, émotion : toutes les qualités du Prix Nobel se trouvent réunies.
Empreint d'une étrange violence, Une affaire personnelle est un roman cruel et douloureux. Bird a vingt-sept ans et son épouse vient de mettre au monde un enfant anormal. Déchiré par des sentiments contradictoires, dont l'immense tentation de se débarrasser du nouveau-né, le jeune père ira-t-il jusqu'à tuer de ses mains le bébé monstrueux ?
En août 1963, Kenzaburô Ôé, alors brillant écrivain de vingt-huit ans, part à Hiroshima faire un reportage sur la neuvième Conférence mondiale contre les armes nucléaires. Indifférent à la politique politicienne, il est immédiatement sensible aux témoignages des oubliés du 6 août 1945, écartelés entre le «devoir de mémoire» et le «droit de se taire» : vieillards condamnés à la solitude, femmes défigurées, responsables de la presse locale et, surtout, médecins luttant contre le syndrome des atomisés, dont la rencontre allait bouleverser son oeuvre et sa vie. Dans leur héroïsme quotidien, leur refus de succomber à la tentation du suicide, Ôé voit l'image même de la dignité.Quel sens donner à une vie détruite ? Qu'avons-nous retenu de la catastrophe nucléaire ? «À moins d'adopter l'attitude de celui qui ne veut rien voir, rien dire et rien entendre, demande-t-il, qui d'entre nous pourra donc en finir avec cette part de Hiroshima que nous portons en nous-mêmes ?» À aucune de ces questions, toujours d'actualité, Ôé n'apporte de réponse. Il s'interroge, nous interroge. Ainsi confère-til à son reportage la dimension d'un traité d'humanisme d'une portée universelle.
«Les trois nouvelles rassemblées dans ce recueil appartiennent à la première période littéraire de Kenzaburô Ôé. Elles ont pour protagonistes de jeunes ou très jeunes gens confrontés à une situation extrême, exprimée en termes métaphoriques ou réalistes, sexuels, psychologiques ou politiques. C'est dans une morgue, une maison de redressement, une famille en décomposition, un lycée et un groupuscule d'extrême droite que se développe cette violence, sous des formes diverses : la mort, la nausée, la mauvaise foi, la manipulation, la culpabilité règnent et brouillent l'univers mental des jeunes anti-héros. Publié en août 1957, Le faste des morts a lancé la carrière de son auteur qui n'avait alors que vingt-deux ans et faisait preuve d'une maîtrise surprenante, associée à une véritable vision du monde : à ce titre, il est resté comme un repère essentiel de son oeuvre. Le ramier fut publié quelques mois plus tard, en mars 1958. Il met en scène un groupe d'adolescents incarcérés dans une maison de redressement et décrit les rapports de force, d'humiliation, de fascination et de domination sexuelle qui se tissent entre les jeunes délinquants en milieu clos. Enfin, Seventeen parut en janvier 1961. Décrivant la psychologie d'un tout jeune homme que la frustration sexuelle et les complexes conduisent à s'engager dans l'extrême droite, cette nouvelle au ton parodique aborda un sujet tabou.» Ryôji Nakamura et René de Ceccatty.
Il était une fois un village au fond d'une vallée, dans l'île de Shikoku. C'est là que jadis se sont rassemblés des fuyards, bannis hors de la ville du château. Ils y ont fondé une société autonome de rebelles. La forêt les entoure, peuplée de forces mystérieuses : les «merveilles».
Une rivière capable de détruire une armée entière. Un déluge qui dévaste la terre. Un chef, surnommé le «destructeur», des filles de l'île des «pirates», des villageois qui ressemblent aux démons de l'enfer bouddhiste, une géante, des vieillards qui disparaissent dans les nuées au clair de lune et un enfant né avec une malformation, marque fatale des «merveilles de la forêt». Kenzaburô Ôé nous raconte l'histoire de son village natal, telle que la psalmodiait sa grand-mère. Bouleversant hommage à son fils, c'est aussi une réflexion brillante sur la structure des révoltes et les sociétés autarciques.
Deux frères, Mitsu et Taka, regagnent le village dont leur famille est originaire, au sud-ouest du Japon, et voient, chacun à sa manière, se détruire et se reconstruire un univers psychique et social, foisonnant et mythique, à travers lequel on peut lire un siècle d'histoire japonaise. Mitsu, le narrateur, semble devoir expier deux fautes : la naissance de son fils anormal et le suicide de son meilleur ami. Les deux drames sont à la fois déchirants et grotesques, occasion d'une mise en scène caricaturale et d'une introspection. Taka, lui, est le véritable protagoniste de ce Jeu du siècle. De retour des États-Unis, il retrouve volontairement et inconsciemment les circonstances réelles et symboliques dans lesquelles, un siècle plus tôt, eut lieu, dans le même village, toute une série de révoltes paysannes. Avec une incomparable maîtrise, Ôé exploite des éléments autobiographiques, une scrupuleuse documentation historique et ethnologique et surtout un monde imaginaire d'une extraordinaire richesse.
En pleine guerre, un avion américain s'écrase dans les montagnes japonaises. Le rescapé est aussitôt fait prisonnier par les villageois. Or il est noir... Aux yeux du jeune enfant naïf et émerveillé qui raconte cet épisode, sa nationalité, sa race, sa langue n'en font pas un étranger ou un ennemi, mais une simple bête dont il faut s'occuper.Un extraordinaire récit classique, une parabole qui dénonce la folie et la bêtise humaines.
Un adolescent fête ses dix-sept ans dans l'indifférence de sa famille, en pleine décomposition. Complexé, mal dans sa peau, incompris de ses parents, il est terriblement frustré. Obnubilé par ses pulsions sexuelles, il s'est replié sur lui-même et toise ses camarades d'un regard méprisant. Il constitue une proie idéale pour les militants d'extrême droite qui recrutent des jeunes pour donner la claque lors des meetings du partie de l'Action Impériale... Inspirée de faits réels, cette nouvelle du grand maître de la littérature japonaise contemporaine (prix Nobel de littérature 1994) nous plonge dans le mal-être du Japon des années soixante.
Monsieur K, invité comme écrivain en résidence, part avec sa femme en Californie. Ils laissent au Japon leurs trois enfants : Mâ, étudiante en littérature française, son frère cadet Ô, qui prépare ses examens d'entrée à l'Université, et leur aîné, Eoyore, gigantesque handicapé mental, fragile, imprévisible, cependant compositeur de musique.Le roman est la chronique, rapportée par Mâ, de toute la vie de cette famille, essentiellement centrée autour de ses liens avec Eoyore. Mais c'est surtout la chronique des jours passés en l'absence des parents, depuis l'événement le plus anodin jusqu'au drame, en passant par la découverte initiatique du regard des autres posé sur Eoyore, et sur l'épreuve du mal, subtilement opposé à l'innocence. Tout cela constitue cette existence tranquille que Mâ aura passée durant huit mois, et dont elle fait ici le récit léger, humoristique et tendre.
Le présent ouvrage rassemble quatre textes du grand romancier japonais : outre le discours prononcé à l'occasion de la remise du prix Nobel, il s'agit de trois conférences sur la culture japonaise, la littérature contemporaine et le problème politque de la prise de position des écrivains japonais depuis la Seconde Guerre mondiale.Qu'il retrace sa propre carrière d'écrivain en remontant jusqu'à son enfance «au milieu de la forêt», loin de Tokyo, qu'il revienne sur l'histoire récente du Japon en évoquant à la fois l'importance de la philosophie zen et l'attirance du modèle occidental, ou qu'il parle de l'ambiguïté politique du Japon entre son passé militariste et Hiroshima, Ôé le fait toujours avec une honnêteté intellectuelle et une intelligence rares. De larges développements sont également consacrés aux auteurs qui ont influencé ou marqué KenzaburôÔé tout au long de sa vie.L'ensemble permettra au lecteur français de comprendre la place qu'occupe Ôé dans le paysage actuel de la littérature et de la société japonaises, et de mieux appréhender l'originalité de son oeuvre et de son style.
In ?'s masterpiece of the human condition and family psychology, estranged brothers Mitsusaburo and Takashi have long since left their family home in a remote forested valley on Shikoku, in the south of Japan: Mitsusaburo for work in Tokyo; his younger brother Takashi for the United States, to atone for his part in anti-American student protests. Takashi's return to Japan coincides with a local Korean supermarket magnate's offer to buy the brothers' ancestral storehouse, pitting the brothers against one another and dredging up family histories best forgotten. The Silent Cry is the most important Japanese novel of the post-war period and a strange, unsettling tale of how the call of blood and history echoes down the generations.