Celui qui ne verrait dans Le théâtre et son double qu'un traité inspiré montrant comment rénover le théâtre - bien qu'il y ait sans nul doute contribué -, celui-là se méprendrait étrangement. C'est qu'Antonin Artaud, quand il nous parle du théâtre, nous parle surtout de la vie, nous amène à réviser nos conceptions figées de l'existence, à retrouver une culture sans limitation. Le théâtre et son double est une oeuvre magique comme le théâtre dont elle rêve, vibrante comme le corps du véritable acteur, haletante comme la vie même dans un jaillissement toujours recommencé de poésie.
Dans Van Gogh le suicidé de la société, publié en 1947, quelques mois avant sa mort, Antonin Artaud rend au peintre un éblouissant hommage. Non, Van Gogh n'était pas fou, martèle-t-il, ou alors il l'était au sens de cette authentique aliénation dont la société et les psychiatres ne veulent rien savoir.«Je vois à l'heure où j'écris ces lignes, le visage rouge sanglant du peintre venir à moi, dans une muraille de tournesols éventrés,dans un formidable embrasement d'escarbilles d'hyacinthe opaque et d'herbages de lapis-lazuli.Tout cela, au milieu d'un bombardement comme météorique d'atomes qui se feraient voir grain à grain,preuve que Van Gogh a pensé ses toiles comme un peintre, certes, et uniquement comme un peintre, mais qui serait,par le fait même,un formidable musicien.»
En novembre 1947, Artaud enregistre pour la Radiodiffusion française, une émission intitulée Pour en finir avec le jugement de dieu.
Le texte qu'il écrit pour l'occasion est lu par Roger Blin, Maria Casarès, Paule Thévenin et Artaud lui-même. L'auteur enregistre après coup un certain nombre de cris de diverses intensite´s, des bruitages, et improvise un accompagnement musical a` plusieurs de ses scansions au moyen d'instruments de percussion et de xylophones.
L'e´mission doit e^tre diffuse´e le 2 fe´vrier 1948. Alerte´ par la presse qui se re´jouit du scandale a` venir, Wladimir Porche´, directeur ge´ne´ral de la Radiodiffusion franc¸aise, interdit la diffusion au dernier moment, le 1er fe´vrier.
Malgré le soutien d'un comité de journalistes, d'artistes, d'e´crivains, de musiciens (parmi lesquels Max-Pol Fouchet, Raymond Queneau, Pierre Herbart, Roger Vitrac, Georges Ribemont-Dessaignes, Jean-Louis Barrault, Louis Jouvet, Jean Cocteau, Rene´ Clair, Paul E´luard, Jean Paulhan, Maurice Nadeau, Georges Auric, Rene´ Char, Adrienne Monnier...), l'émission n'est pas diffusée.
Le texte paraît quelques mois plus tard, au printemps 1948, à titre posthume, aux éditions K, dirigées par Alain Gheerbrant.
Avec le texte de l'émission, nous reproduisons le Théâtre de la Cruauté, des Lettres à propos de Pour en finir avec le jugement de dieu et les États préparatoires de Pour en finir avec le jugement de dieu.
Le "Théâtre et son double" est un volume d'essais, conférences, manifestes, notes et extraits de lettres consacrés au théâtre. Dans sa langue poétique inspirée et percutante, Antonin Artaud poursuit ici sa quête métaphysique et répond à plusieurs questionnements théoriques. Selon lui, il faut rendre au spectacle contemporain sa dignité de manifestation religieuse, c'est-à-dire que le théâtre n'a de sens que s'il est raccordé au drame originel de la condition humaine. Il réagit contre les excès de psychologie et de morale, appelant l'avènement d'un drame qui rompe enfin avec «la dictature de la parole» et privilégie les aspects «physiques» des sentiments que doivent éprouver les spectateurs. Remontant aux sources pures du théâtre, à la tragédie antique, au mystères du Moyen Âge comme aux formes dramatiques de l'art oriental, il préconise «une utilisation magique de la mise en scène» et un «langage de signes» qui puisse ressusciter dans le public l'expérience de la terreur. "Le Théâtre et son double" rassemble notamment: "Le Théâtre et la peste", "La Mise en scène et la métaphysique", "Le Théâtre alchimique", "Théâtre oriental et Théâtre occidental", "Un Athlétisme affectif", "Sur le Théâtre balinais", "En finir avec les chefs-d'oeuvre", les "Lettres sur le langage", les deux célèbres manifestes sur "Le Théâtre et la Cruauté" ainsi que "Le Théâtre de Séraphin". Il a eu, et a encore de nos jours, une très forte influence sur la création théâtrale.
Entre mythe, histoire et littérature, Artaud s'empare ici de la vie d'Héliogabale d'Émèse, grand prêtre païen adorateur du Soleil et empereur anarchiste en son empire, qui vécut au IIIe siècle d'une Rome intensément déliquescente et fit de son pouvoir "de la poésie réalisée".
Extrait : "S'il y a autour du cadavre d'Héliogabale, mort sans tombeau, et égorgé par sa police dans les latrines de son palais, une intense circulation de sang et d'excréments, il y a autour de son berceau une intense circulation de sperme. Héliogabale est né à une époque où tout le monde couchait avec tout le monde; et on ne saura jamais où ni par qui sa mère a été réellement fécondée. Pour un prince syrien comme lui, la filiation se fait par les mères ; - et, en fait de mères, il y a autour de ce fils de cocher, nouveau-né, une pléiade de Julies - et qu'elles exercent ou non sur le trône, toutes ces Julies sont de hautes grues." Pour J.M.G. Le Clézio, "Qui n'a pas lu 'Héliogabale' n'a pas touché le fond même de notre littérature sauvage."
"Artaud rencontre Génica Athanasiou en 1921, alors qu'ils sont tous deux acteurs dans la troupe du Théâtre de l'Atelier ; elle sera son grand amour.
Artaud est alors un jeune poète qui n'a rien publié, ou presque : c'est durant leur relation qu'il noue des liens avec la N.R.F., les surréalistes, Abel Gance ou Carl Dreyer, et qu'il vit une grande partie de sa carrière d'acteur, au théâtre et au cinéma.
Déjà ses problèmes psychiatriques et de toxicomanie envahissent sa vie personnelle ; Génica soutiendra contre eux une lutte perdue d'avance.
Cette correspondance amoureuse, tantôt sublime, tantôt déchirante, est le vivant témoignage d'une passion, tout autant que celui de la descente aux enfers d'une des figures les plus complexes des avant-gardes françaises du XXe siècle."
«Moi je réponds que nous sommes tous en état épouvantable d'hypotension,nous n'avons pas un atome à perdre sans risquer d'en revenir immédiatement au squelette, alors que la vie est une incroyable prolifération, l'atome éclos en pond un autre, lequel en fait immédiatement éclater un autre.Le corps humain est un champ de guerre où il serait bon que nous revenions.C'est maintenant le néant, maintenant la mort, maintenant la putréfaction, maintenant la résurrectionattendre je ne sais pas quelle apocalypse d'au-delà,l'éclatement de quel au-delà pour se décider à reprendre les choses est une crapuleuse plaisanterie.C'est maintenant qu'il faut reprendre vie.»Antonin Artaud, 1946.
«Le pays des Tarahumaras est plein de signes, de formes, d'effigies naturelles qui ne semblent point nés du hasard, comme si les dieux, qu'on sent partout ici, avaient voulu signifier leurs pouvoirs dans ces étranges signatures où c'est la figure de l'homme qui est de toutes parts pourchassée. [...] Que la Nature, par un caprice étrange, montre tout à coup un corps d'homme qu'on torture sur un rocher, on peut penser d'abord que ce n'est qu'un caprice et que ce caprice ne signifie rien. Mais quand, pendant des jours et des jours de cheval, le même charme intelligent se répète, et que la Nature obstinément manifeste la même idée ; quand les mêmes forment pathétiques reviennent ; quand des têtes de dieux connus apparaissent sur les rochers, et qu'un thème de mort se dégage dont c'est l'homme qui fait obstinément les frais, - et à la forme écartelée de l'homme répondent celles devenues moins obscures, plus dégagées d'une pétrifiante matière, des dieux qui l'ont depuis toujours torturé ; - quand tout un pays sur la pierre développe une philosophie parallèle à celle des hommes ; quand on sait que les premiers hommes utilisèrent un langage de signes et qu'on retrouve formidablement agrandie cette langue sur les rochers, certes, on ne peut plus penser que ce soit là un caprice, et que ce caprice ne signifie rien.» (Extrait de La montagne des signes.)
Funeste commémoration de la grande peste qui frappa Marseille en 1720, un nouveau virus se propage sur la planète. C'est sur la première, qui décima sa ville natale au xviiie siècle, qu'Antonin Artaud écrivait en 1934. Pourtant, relu au prisme de l'actuel contexte épidémique, c'est de notre civilisation vacillante que le texte de ce génial insurgé semble tracer le tableau.Pour celui dont l'oeuvre entier navigue entre surréalisme et folie, la peste est le signe d'un désordre plus vaste que l'enchevêtrement des corps putréfiés. Comme le théâtre déborde la scène, la peste dépasse le microbe. La peste, comme le théâtre, est le temps de la démesure ; des forces et des possibilités se libèrent, qui nous arrachent collectivement à l'inertie et font tomber les masques.
Puissante, visionnaire, la prose d'Artaud vient interroger en creux le devenir de nos sociétés moribondes ; notre devenir.
En mettant à nu nos fragilités et nos errements, la pandémie actuelle aura-t-elle une vertu cathartique qui « nous rendra à tous l'équivalent naturel et magique des dogmes auxquels nous ne croyons plus » ?
Lettres au dr ferdiere (1943-1946) et autres textes inedits suivis de six lettres a marie dubuc (1935-1937) préface du dr gaston ferdière présentation et notes de pierre chaleix investi de ce qu'il croyait être sa mission, antonin artaud s'en fut, en 1937, rapporter la canne de saint patrick aux irlandais.
Arrêté à dublin, ramené au havre, on l'enferme. pendant neuf ans il ne connaîtra plus que la face du dedans des murs asilaires. en 1940, quand survient l'occupation, il est à ville-evrard. a la souffrance de son internement, s'ajoutent pour le poète la faim, le dénuement.
Les efforts conjugués du fidèle robert desnos et de son ami gaston ferdière, qui dirige en " zone non occupée " l'asile de rodez, réussissent à faire passer arthaud en un lieu, où, à défaut de liberté, il trouvera, avec l'amitié, des soins attentifs jusqu'au dévouement.
Nous sommes en février 1943. jusqu'à sa sortie en 1946, artaud écrira à son médecin, qu'il voit cependant chaque matin, près de cinquante lettres. la reconnaissance et l'affection jalouse côtoyant la revendication - si ce n'est l'aigreur certains jours - projettent sur cet ensemble le reflet incomparablement vrai de la vie du poète interné. il y a plus : dans ces lettres s'exprime une foi chrétienne, sinon romainement orthodoxe du moins passionnée jusqu'au mysticisme.
Mon corps est à moi, je ne veux pas qu'on en dispose. Dans mon esprit circulent bien des choses, dans mon corps ne circule rien que moi. C'est tout ce qui me reste de tout ce que j'avais. Je ne veux pas qu'on le prenne pour le mettre en cellule, l'encamisoler, lui attacher au lit les pieds, l'enfermer dans un quartier d'asile, lui interdire de sortir jamais, l'empoisonner, le rouer de coups, le faire jeûner, le priver de manger, l'endormir à l'électricité..
La date du 13 janvier 1947, est aujourd'hui devenue mythique : au Théâtre du Vieux-Colombier, à 21 heures, Antonin Artaud tient une conférence devant une salle bondée où sont présents :
Paulhan, Adamov, Gide, Breton, Camus, Braque, Picasso, Dufour, Derain, Audiberti, et beaucoup d'autres. Ce projet de conférence qu'Artaud avait formé très peu de temps après son retour à Paris, reste un événement hors du commun qui l'a vu s'exposer de manière totale, parfois à la limite du soutenable. Il était venu au théâtre avec trois cahiers contenant un texte soigneusement préparé dont nous donnons ici la transcription établie par Paule Thévenin.
Prophète désespéré, fouilleur du néant, de ses violences et de ses dangereuses tentations, naufragé de la vie, Antonin Artaud n'a plus - quatre ans avant sa mort, et alors qu'il est enfermé dans l'hôpital psychiatrique de Rodez où il subit une série d'électrochocs -, que ses mots auxquels se raccrocher, comme à des bouées. Des mots qu'il façonne dans des phrases qu'il maltraite et qui découvrent tout un monde, « son » monde.
Dans Révolte contre la poésie, comme dans la lettre qu'il adresse à Anne Manson en février 1944 - les deux textes publiés dans le présent ouvrage -, Artaud semble à bout : il a perdu tout espoir de trouver la pureté sur cette terre, et chez les « spectres » et les « pourceaux » qui la peuplent. Même la culture a disparu, lui enlevant son dernier espoir, son ultime refuge. Il se retrouve seul dans un « face-à-face » insupportable avec son corps, ses démons et ses « viles pensées », contre lesquels il a engagé un combat pour sauver son âme.
La langue tombe, s'effondre, resurgit brutalement, verticale : elle se décompose et vit. Publiées en 1937 les Nouvelles révélations de l'être agissent comme une prophétie : «je ne suis pas mort, je suis séparé». Dès lors qu'il se dit «mort au monde», Artaud se trouve incapable de parler en son nom : commence, quelques mois après la publication, le long séjour asilaire qui sera un chemin vers la reformation d'un moi à partir de fragments épars.
« Je ne suis pas Mr Artaud mais Mr ARLAND, j'ai francisé mon nom qui est en réalité ARLANAPULOS. Je suis sujet Grec, né à Smyrne, (Turquie d'ASIE) le 29 septembre 1904. J'habite Paris depuis 1921, j'ai fait des Études en Sorbonne de 1921 à 1923-24, j'ai fourni des adresses à Mr le Médecin chef. Je suis dessinateur de profession. [.] Je me suis réfugié en Irlande, et mes papiers d'identité m'ont été VOLES à la Préfecture de Police de Dublin (DUBLIN CASTLE) tandis que j'étais interrogé sur les raisons de mon séjour là-bas. » Contrairement à certaines affirmations, Antonin Artaud n'a jamais cessé d'écrire. Mais les lettres rédigées depuis son internement d'office à l'hôpital de Sotteville-lès-Rouen en octobre 1937, puis Sainte-Anne et Ville-Evrard, jusqu'à son départ pour Rodez en 1943, semblaient perdues.
Grâce à l'obstination de Serge Mallausséna, neveu du poète, ces lettres inédites ont été pour l'essentiel retrouvées dans les dossiers de l'administration hospitalière ou, au terme d'une enquête quasi policière, dans des collections privées.
Rédigées à partir des asiles, elles sont, pour la plupart, destinées à alerter l'opinion. Beaucoup sont délirantes, d'autres nous relatent son vécu à l'intérieur des différents établissements psychiatriques. Elles sont adressées à toutes sortes de correspondants : des hommes politiques, des docteurs, des infirmiers, des amis du monde littéraire et artistique, à sa famille. La plupart ne sont jamais arrivées à destination, soit retenues volontairement par les services responsables, soit gardées à titre personnel par certains médecins.
Elles permettent de pénétrer au coeur des obsessions d'Artaud et de ses délires, montrent son acharnement à survivre et à être entendu. Elles nous permettent de percevoir ses souffrances, et illustrent également la réalité du pouvoir psychiatrique.
Ces documents exceptionnels, qui permettent de mieux comprendre l'imaginaire et fantastique discours élaboré par Artaud pour recouvrer sa liberté ou faire revivre des personnes absentes, sont aujourd'hui révélés dans leur totalité.
Préface de Serge Mallausséna
Ce double tome I a inauguré une nouvelle édition des Oeuvres complètes d'Antonin Artaud, dont la publication avait été entreprise en 1948. C'est dire que depuis cette époque nos recherches avaient abouti à la découverte de nombreux textes et lettres. Le format actuel a permis d'enrichir chacun des tomes de ces éléments nouveaux qu'il nous a paru indispensable de mettre à la disposition des lecteurs.Le présent double tome est la refonte du tome I et de son Supplément. Il a été, en outre, augmenté de plusieurs textes inédits et de lettres retrouvées depuis 1970. Signalons tout spécialement Point final, publié en 1927 à compte d'auteur, que nous avions fini par croire perdu sans recours et qui a été retrouvé comme par miracle en 1971, texte sans lequel la position d'Antonin Artaud par rapport au surréalisme ne peut être comprise dans sa totalité et sa complexité.Antonin Artaud a toujours lui-même considéré sa correspondance comme partie intrinsèque de son oeuvre, et il est peu d'ouvrages composés par lui et publiés de son vivant qui ne contiennent de lettres réelles. Ainsi, un certain quotidien de sa vie était introduit dans ce que l'on était convenu d'appeler une oeuvre, et agissait comme destructeur de la notion même d'oeuvre.
Ci-gît précédé de La Culture Indienne, deux des plus grandes oeuvres poétiques de la dernière période de la vie d'Antonin Artaud (version bilingue français / anglais).
Très longtemps, antonin artaud a surtout été connu comme homme de théâtre.
Pourtant, sa vie professionnelle est, dans les faits, des plus réduites et il a passé fort peu de temps sur les planches. court apprentissage chez dullin, dans l'enthousiasme. il participe alors, durant à peine plus d'une année, aux spectacles de l'atelier qu'il quitte, déçu, écoeuré, quelques jours après avoir créé le rôle de charlemagne dans huon de bordeaux, d'alexandre arnoux. puis une saison chez les pitoëff et, pendant cette période, deux petits rôles et une figuration sur les autres scènes des champs-elysées dont l'ensemble était dirigé par hébertot.
Ensuite, plus rien jusqu'aux représentations du théâtre alfred jarry: neuf en tout pour quatre spectacles différents donnés entre le ler juin 1927 et le 5 janvier 1929. les auteurs: vitrac, claudel, bien malgré lui, strindberg. c'est peu sans doute, mais il n'est aucune de ces manifestations qui n'ait été un événement, aucune qui n'ait marqué un jalon dans l'évolution de la réalisation scénique.
Heureusement pour nous, de ces spectacles fugaces, antonin artaud a laissé des traces écrites: manifestes ou textes de programme, regroupés au début de ce tome il.
On y trouvera aussi m. projets de mise en scène pour deux pièces qu'il avait espéré pouvoir monter. ecrits pour mettre en confiance les directeurs de théâtre et les convaincre de ses capacités de réalisateur, ils nous donnent des indications concrètes sur ses conceptions propres: comment il comptait faire jouer entre elles la voix des acteurs, moduler avec leurs divers registres, utiliser la surface du plateau, le rôle qu'il accordait à la lumière, l'atmosphère générale qu'il cherchait à créer.
Mais le jeune poète de vingt-trois ans qui avait quitté en 1920 sa provence natale pour venir à paris apprendre le métier de comédien s'intéressait à bien d'autres choses que le théâtre. il visite les salons et les galeries d'avant-garde, il est curieux de tout ce qui paraît et écrit un grand nombre de notes et de comptes rendus dont plusieurs étaient jusqu'à ce jour demeurés inédits. cette activité de critique, il l'exercera jusqu'à son départ pour le mexique.
Les textes qui en témoignent, et sans lesquels on ne saurait presque rien de ses goûts et de ses lectures, ont été rassemblés dans la dernière partie du volume.
Oeuvres complètes - tome iv antonin artaud n'aurait-t-il écrit que le théâtre et son double, ce livre, d'aucuns le pensent, eût suffi à sa gloire.
Pourtant, il paraît en février 1938 dans une indifférence presque totale ; l'auteur, il est vrai, s'est comme tue. a l'issue d'un périple qui l'a mené au mexique, puis en irlande, il a été interné d'office. il le restera neuf ans pendant lesquels ce livre qui compte à peine plus de cent cinquante pages, tiré seulement à quatre cents exemplaires, prêté passé de main en main, surtout parmi les gens de théâtre, va trouver ses fervents.
Ils ne sont pas foule encore quand henri thomas, en 1945, salue sa réédition par le théâtre mort et vivant, étude où l'un des premiers il sait dire que ce livre n'est pas uniquement une méthode et un programme à l'usage des acteurs et metteurs en scène mais qu'antonin artaud y pose " une conception absolue de la vie ". dix ans après maurice blanchot y verra " l'exigence de la poésie telle qu'elle ne peut s'accomplir qu'en refusant les genres limités et en affirmant un langage plus originel ".
Vingt ans après, jacques derrida tentera de cerner les implications philosophiques de ce texte à propos duquel il écrira que " penser la clôture de la représentation, c'est penser le tragique ". tous ont contribué à faire comprendre que le théâtre et son double n'est pas affaire des seuls théâtrologues. il n'en aura cependant pas moins influencé le théâtre contemporain dans la mesure où il aura conduit metteurs en scène et acteurs à modifier l'espace de la scène et le jeu vocal et corporel.
Tout cela concourt à faire du théâtre et son double l'oeuvre d'antonin arthaud la plus lue, la plus traduite, la plus commentée. les quelques quatre cents lecteurs du début se chiffrent maintenant par centaines de milliers et leur nombre ne cesse de croître.
Les cenci, tragédie d'après shelley et stendhal, ont été écrits par antonin artaud en 1935 afin de mettre en application les principes qu'il avait énoncés dans ses textes théoriques sur le théâtre.
Ce fut le premier spectacle du théâtre de la cruauté, c'en fut aussi le seul. il tint l'affiche dix-sept jours, et commercialement ce fut un échec. mais antonin artaud n'a pas tort de constater le " succès dans l'absolu des cenci ". a lire les critiques de l'époque, on se rend compte que tout ce qui alors était blâme et s'exprimait comme tel pourrait aujourd'hui être tenu pour éloge. a ce renversement de la conception théâtrale, les représentations des cenci, tout comme le théâtre et son double, ont sûrement participé.
«Je ne vais pas faire une conférence élégante et je ne vais pas faire une conférence. / Je ne sais pas parler, / quand je parle je bégaye parce qu'on me mange mes mots, / et pour manger il faut des bouches», voilà ce que pouvait écrire Antonin Artaud en préparant la conférence qu'il devait donner le 13 janvier 1947 au théâtre du Vieux-Colombier. Et il est vrai que cette «séance» où il voulait lire plusieurs de ses récents poèmes a été tout autre chose qu'une conférence. Les assistants qui se pressaient, très nombreux, dans cette salle où vingt-cinq ans auparavant il avait participé à la création, par la troupe de l'Atelier, de La vie est un songe de Calderón, semblent tous avoir été marqués par l'événement ; certains ont même trouvé insoutenable cette confrontation avec un homme qui s'exposait aussi totalement. Antonin Artaud, qui en présence de quelques amis était un si merveilleux lecteur, a paru, devant les spectateurs, éprouver la plus grande difficulté à lire les poèmes qu'il avait apportés : les feuillets lui échappaient, s'emmêlaient, tombaient sous la table. Et, après une interruption de quelques minutes, une fois revenu sur scène pour raconter l'histoire de sa vie, il ne parvint pas à lire le beau texte qu'il avait préparé et put tout juste, en donnant l'impression de souffrir intensément à chaque mot qu'il s'arrachait, faire le récit de quelques faits marquants de son existence. Pourtant, il avait attaché une importance extrême à cette conférence et depuis novembre il y travaillait sans relâche. Outre les trois cahiers qu'il avait apportés avec lui au Vieux-Colombier, il avait, les mois précédents, en même temps qu'il composait Suppôts et Suppliciations, rempli des pages et des pages en vue de cette «séance». Ces textes, même si quelques-uns se présentent comme une succession de notes à développer par la suite, nous racontent une histoire dont ils cherchent à nous faire toucher la profonde vérité et, pour cela, empruntent souvent le ton du récit. Leur ensemble nous a paru quelque chose de si particulier, de si bouleversant, que nous avons estimé souhaitable de les réunir dans ce tome XXVI sous le titre choisi par Antonin Artaud pour annoncer sa reprise de contact avec le public.
50 dessins pour assassiner la magie est un texte inédit d'Antonin Artaud provenant d'un de ses derniers cahiers. Peu de temps avant sa mort, il en avait envisagé la publication et souhaitait le voir illustré de cinquante dessins prélevés dans plusieurs de ses cahiers.
C'est ce projet que nous réalisons en reproduisant le manuscrit original de 50 dessins pour assassiner la magie et en donnant sa retranscription en vis-à-vis.
«Il ne s'agit pas ici de dessins au propre sens du terme, d'une incorporation quelconque de la réalité par le dessin.
Ils ne sont pas une tentative pour renouveler l'art auquel je n'ai jamais cru
du dessin non mais pour les comprendre il faut les situer d'abord.
Ce sont 50 dessins pris à des cahiers de notes littéraires, poétiques
psychologiques, physiologiques, magiques, magiques surtout magiques d'abord et par-dessus tout.»
Antonin Artaud.
C'est en 1945, alors qu'il est encore enfermé à l'hôpital psychiatrique de Rodez, qu'Antonin Artaud commence à écrire chaque jour dans de petits cahiers de brouillon que lui fournit l'administration. Sur ces fragiles supports, il réinvente un nouveau corps d'écriture, entre texte et dessin, entre théâtre vocal et danse rythmée de coups de couteaux qui transpercent la feuille. Artaud lui-même parle de « cahiers de notes littéraires, poétiques, psychologiques, physiologiques, magiques, magiques surtout ». Magiques en effet ; l'écriture sous ses doigts est vivante, les pages bougent, les dessins sortent de la feuille : pratique conjuratoire, exorcisme. Souvent il écrit dans plusieurs cahiers à la fois, au hasard des pages ouvertes, déployant ainsi les scène splurielles et éclatées que cherchaient à penser dans les années trente ses théories théâtrales. Jour après jour et jusqu'à sa mort, le 4 mars 1948, il poursuivra ainsi inlassablement la même pratique effrénée d'écriture infinie où il remet en scène, dans un espace qu'il nomme « sempiternel », son dernier Théâtre de la Cruauté.
406 de ses petits cahiers - la quasi intégralité - sont aujourd'hui conservés à la Bibliothèque nationale de France. Certains contiennent les esquisses des derniers grands textes : Suppôts et Suppliciations, Pour en finir avec le jugement de dieu, Van Gogh le suicidé de la société. Tous sont emplis de fragments de poèmes et dessins au crayon ou à l'encre. Une bonne partie d'entre eux sont encore inédits. C'est le cas du cahier publié ici en fac-similé, l'un des derniers, datant de janvier 1948. D'une page à l'autre, dans l'entrelacs des textes et des dessins, on y voit se déployer la « machine de souffle », comme disait Artaud, où s'opère « la matérialisation corporelle et réelle d'un être intégral de poésie ».
La version bilingue (français / anglais) d'Artaud le Mômo, l'oeuvre poétique la plus extraordinaire de la dernière période de la vie d'Artaud, depuis son retour à Paris après une incarcération de neuf ans dans les institutions psychiatriques françaises. L'ouvrage respecte les directives graphiques voulues par le poète pour l'édition originale de 1947. Avec huit dessins originaux d'Artaud.
Tome 1.
Les derniers Cahiers d'Ivry constituent la fin des Oeuvres complètes d'Antonin Artaud. Ce volume couvre la période qui s'étend de février à juin 1947. Inlassablement, il continue d'y mettre en espace ce qu'il nomme son nouveau Théâtre de la Cruauté. Que signifie avoir "un esprit qui littérairement existe" ? C'est la question qu'il posait à ses débuts à Jacques Rivière, le directeur de La NRF. Vingt ans plus tard, après une longue traversée d'enfermements asilaires, la question est réapparue.
C'est bien en effet cette fondamentale question de l'inspiration - question qui hanta aussi les surréalistes - qu'il reprend sans relâche : comment commence-t-on à écrire ? Qui écrit, qui pense en moi ? Quel démon s'empare du Verbe humain avant qu'il ait commencé à penser ? Au fil des pages, les lettres se mettent en mouvement, un rythme progressivement émerge, accompagné de coups, de cris : chorégraphie de gestes et de voix, dessins semés sur la feuille.
"Je ne suis jamais né", répète-t-il depuis son enfermement dans l'asile de Rodez, et donc je ne peux pas mourir. A entendre comme production infinie d'écriture, système perpétuel, "machine de souffle", prolifération sans fin d'un corps sans organes. C'est donc là, au creux des pages, entre les pages et les lignes, d'un cahier à l'autre, que s'opère "la matérialisation corporelle et réelle d'un être intégral de poésie" (lettre du 6 octobre 1946 à Henri Parisot).
Tome 2. Ce deuxième volume des Cahiers d'Ivry (juin 1947-mars 1948) présente les derniers écrits d'Antonin Artaud, jusqu'à sa mort, le 4 mars 1948. Il y reprend sa théorie du Théâtre de la Cruauté, l'élargissant aux dimensions du cosmos tout entier. Ces ultimes cahiers sont, plus que jamais, la dramaturgie d'une lutte : contre Dieu, les esprits, le sexe humain, l'inconscient, la poésie littéraire, le corps où il étouffe, l'obscénité de la mort...
Il y explore une fois encore cette contradiction douloureuse : comment affecter le spectateur, le lecteur, comment jouir à travers lui de ces sensations que je ne puis ressentir dans mon propre corps ? "Je n'ai pas de corps", répète-t-il, dans les années vingt. Cruauté est le nom de cette logique paradoxale. Ce qui le hante alors ? Le modèle théâtral et christique de la transsubstantiation corporelle.
La répétition au théâtre, il l'a toujours dit, est une réitération. Chaque fois, il s'agit de refaire le trajet vital du geste, puisé dans sa source corporelle : respiration, circulation du sang entre les corps, mouvements articulés du verbe, vibrations corporelles des mots lancés, cri de la vie. Il est seul à présent sur cette ultime scène, celle des petits cahiers où il joue tous les rôles - dernière tentative peut-être d'hystériser la scène d'écriture, pour combattre la violence psychotique qui, toujours, menace.