«Quand on a lu Artaud, on ne s'en remet pas. Ses textes sont de ceux, très rares, qui peuvent orienter et innerver toute une vie, influer directement ou indirectement sur la manière de sentir et de penser, régler une conduite subversive à travers toutes sortes de sentiments, de préjugés et de tabous qui, à l'intérieur de notre culture, contribuent à freiner et même à arrêter un élan fondamental. Exceptionnel à cet égard, puisque son oeuvre ne cesse de susciter des questions auxquelles il semble aujourd'hui encore impossible d'apporter des réponses précises, Artaud ne peut être considéré ni comme un écrivain, ni comme un poète, ni comme un acteur, ni comme un metteur en scène, ni comme un théoricien, mais comme un homme qui a tenté d'échapper à toutes ces définitions, et auquel la société dans laquelle nous vivons a opposé la plus grande résistance, la plus grande surdité, la plus grande répression possible.»Alain Jouffroy.
Celui qui ne verrait dans Le théâtre et son double qu'un traité inspiré montrant comment rénover le théâtre - bien qu'il y ait sans nul doute contribué -, celui-là se méprendrait étrangement. C'est qu'Antonin Artaud, quand il nous parle du théâtre, nous parle surtout de la vie, nous amène à réviser nos conceptions figées de l'existence, à retrouver une culture sans limitation. Le théâtre et son double est une oeuvre magique comme le théâtre dont elle rêve, vibrante comme le corps du véritable acteur, haletante comme la vie même dans un jaillissement toujours recommencé de poésie.
«Mathilde prononça les paroles magiques. Aussitôt, les caractères tracés sur les bords du miroir s'animèrent et commencèrent à tracer dans l'air des figures reconnaissables. La surface d'acier poli sembla fondre et il se présenta aux yeux du moine un tourbillonnement de couleurs et d'images agitées de remous puissants. Puis les choses se disposèrent suivant leur perspective naturelle et Ambrosio vit en miniature les traits mêmes d'Antonia.Elle se trouvait dans un petit cabinet attenant à la chambre où elle couchait. Elle se déshabillait pour se mettre au bain et le moine eut pleine liberté de détailler les admirables proportions de ses membres.»
Pour en finir avec le jugement de dieu est sans doute le livre d'Antonin Artaud qui libère le plus violemment cette voix forcenée, cette voix de fureur et de fièvre qui apparaît comme l'ultime état, l'ultime éclat de sa parole de poète. La poésie prend ici la forme d'une profération, d'une vaticination, mais loin de vouloir faire entendre le message inspiré ou imposé à un oracle par un dieu quelconque, Artaud entreprend de transcrire les mots, les balbutiements, les cris comme s'ils étaient directement engendrés par le corps souffrant, brisé, torturé d'un médium qui refuse toute intervention transcendante. Ce dont témoigne ce livre, c'est d'une révolte ontologique, révolte radicale qui s'affranchit de tous les recours, de tous les secours, de toutes les croyances, pour s'en tenir aux seules sonorités, aux seuls timbres, aux seules vibrations des choses. «Le timbre a des volumes, des masses de souffles et de tons, qui forcent la vie à sortir de ses repères et à libérer surtout ce soi-disant au-delà qu'elle nous cache/et qui n'est pas dans l'astral mais ici.»
«Voici le livre le plus violent de la littérature contemporaine, je veux dire d'une violence belle et régénératrice.Héliogabale, né sur un berceau de sperme, mort sur un oreiller de sang, est un noir héros de notre monde. Sa légende est faite de perversité et d'exécration. El Gabal, Celui de la Montagne, est non seulement l'empereur dépravé de la Rome pourrissante du Troisième Siècle, livré aux vices et à la folie, mais aussi le premier héros infernal de cette rencontre avec l'Orient, dont Apollonius de Tyane fut l'Archange. Incarnation du mythe hermaphrodite, adorateur du Soleil et de la pierre noire Élagabale, il a vécu jusqu'à l'extrême le drame de l'affrontement entre le monde gréco-latin et la Barbarie. Il s'agit bien ici d'un texte initiatique : prêtre païen et empereur de Rome à l'âge de quatorze ans, Héliogabale annonce à la fois le rite solaire des Tarahumaras, et le sacrifice de Van Gogh le Suicidé de la société, puis la descente aux Enfers d'Artaud le Mômo. Héliogabale est l'Anarchiste, avant d'être l'Alchimiste couronné.Ce livre envoûtant, le plus construit et le plus documenté des écrits d'Antonin Artaud, est aussi le plus imaginaire.Qui n'a pas lu Héliogabale n'a pas touché le fond même de notre littérature sauvage.»J.M.G. Le Clézio.
"Artaud rencontre Génica Athanasiou en 1921, alors qu'ils sont tous deux acteurs dans la troupe du Théâtre de l'Atelier ; elle sera son grand amour.
Artaud est alors un jeune poète qui n'a rien publié, ou presque : c'est durant leur relation qu'il noue des liens avec la N.R.F., les surréalistes, Abel Gance ou Carl Dreyer, et qu'il vit une grande partie de sa carrière d'acteur, au théâtre et au cinéma.
Déjà ses problèmes psychiatriques et de toxicomanie envahissent sa vie personnelle ; Génica soutiendra contre eux une lutte perdue d'avance.
Cette correspondance amoureuse, tantôt sublime, tantôt déchirante, est le vivant témoignage d'une passion, tout autant que celui de la descente aux enfers d'une des figures les plus complexes des avant-gardes françaises du XXe siècle."
Dernier recueil de textes composé par Antonin Artaud peu avant sa mort, Suppôts et Suppliciations rassemble des éléments apparemment disparates:des poèmes, des récits de rêves, un essai sur Lautréamont, un commentaire de dessin et des lettres. Comme le souligne Évelyne Grossman, «il faut immédiatement renoncer à chercher dans ce recueil une unité quelconque de lieu, de temps ou d'action, sur le modèle de la dramaturgie classique. Car Suppôts et Suppliciations est bien un drame, dans tous les sens du terme, la dramaturgie d'un cri de douleur et de révolte qu'Artaud met une dernière fois en scène dans ces pages éblouissantes. Le livre est composé de trois parties (entendons, trois actes au sens théâtral du terme):Fragmentations, Lettres, Interjections. Au centre du volume, les lettres envoyées à quantité d'interlocuteurs constituent ce qu'Artaud appelle le pont d'une correspondance vraie. Elles dessinent la scène centrale sur laquelle se dresse l'homme acteur, lui Antonin Artaud, qu'on veut empêcher d'être Dieu, d'incarner le corps infini de la création, lui qui inlassablement hurle son refus de la mort, sa haine d'une anatomie où il étouffe, son exécration d'une société qui chaque jour le dévore. Le 13 mars 1946, il écrit à Henri Thomas:Cet appel est celui d'un poète qui vent aimer les coeurs qui ont bien voulu lui faire l'honneur de l'écouter et de l'entendre, et qui veut par toutes les projections de son souffle leur donner lieu de respirer dans ce monde d'asphyxiés.»
«Moi je réponds que nous sommes tous en état épouvantable d'hypotension,nous n'avons pas un atome à perdre sans risquer d'en revenir immédiatement au squelette, alors que la vie est une incroyable prolifération, l'atome éclos en pond un autre, lequel en fait immédiatement éclater un autre.Le corps humain est un champ de guerre où il serait bon que nous revenions.C'est maintenant le néant, maintenant la mort, maintenant la putréfaction, maintenant la résurrectionattendre je ne sais pas quelle apocalypse d'au-delà,l'éclatement de quel au-delà pour se décider à reprendre les choses est une crapuleuse plaisanterie.C'est maintenant qu'il faut reprendre vie.»Antonin Artaud, 1946.
Funeste commémoration de la grande peste qui frappa Marseille en 1720, un nouveau virus se propage sur la planète. C'est sur la première, qui décima sa ville natale au xviiie siècle, qu'Antonin Artaud écrivait en 1934. Pourtant, relu au prisme de l'actuel contexte épidémique, c'est de notre civilisation vacillante que le texte de ce génial insurgé semble tracer le tableau.Pour celui dont l'oeuvre entier navigue entre surréalisme et folie, la peste est le signe d'un désordre plus vaste que l'enchevêtrement des corps putréfiés. Comme le théâtre déborde la scène, la peste dépasse le microbe. La peste, comme le théâtre, est le temps de la démesure ; des forces et des possibilités se libèrent, qui nous arrachent collectivement à l'inertie et font tomber les masques.
Puissante, visionnaire, la prose d'Artaud vient interroger en creux le devenir de nos sociétés moribondes ; notre devenir.
En mettant à nu nos fragilités et nos errements, la pandémie actuelle aura-t-elle une vertu cathartique qui « nous rendra à tous l'équivalent naturel et magique des dogmes auxquels nous ne croyons plus » ?
Lettres au dr ferdiere (1943-1946) et autres textes inedits suivis de six lettres a marie dubuc (1935-1937) préface du dr gaston ferdière présentation et notes de pierre chaleix investi de ce qu'il croyait être sa mission, antonin artaud s'en fut, en 1937, rapporter la canne de saint patrick aux irlandais.
Arrêté à dublin, ramené au havre, on l'enferme. pendant neuf ans il ne connaîtra plus que la face du dedans des murs asilaires. en 1940, quand survient l'occupation, il est à ville-evrard. a la souffrance de son internement, s'ajoutent pour le poète la faim, le dénuement.
Les efforts conjugués du fidèle robert desnos et de son ami gaston ferdière, qui dirige en " zone non occupée " l'asile de rodez, réussissent à faire passer arthaud en un lieu, où, à défaut de liberté, il trouvera, avec l'amitié, des soins attentifs jusqu'au dévouement.
Nous sommes en février 1943. jusqu'à sa sortie en 1946, artaud écrira à son médecin, qu'il voit cependant chaque matin, près de cinquante lettres. la reconnaissance et l'affection jalouse côtoyant la revendication - si ce n'est l'aigreur certains jours - projettent sur cet ensemble le reflet incomparablement vrai de la vie du poète interné. il y a plus : dans ces lettres s'exprime une foi chrétienne, sinon romainement orthodoxe du moins passionnée jusqu'au mysticisme.
Si l'on tente de reconstituer l'état d'esprit d'Artaud avant et pendant la mise en oeuvre des Cenci, il faut se débarrasser de deux images : de celle du poète foudroyé, abruti par les électrochocs qu'on lui administrera pendant la guerre à Rodez ; de celle du rêveur inconscient qui se croit en mesure de réinventer le théâtre et qui subit, lors de la représentation de sa pièce aux Folies-Wagram, en mai 1935, un échec cuisant et définitif. Un retour en arrière s'impose : en 1934, Artaud est tout sauf un perdant. Librement inspirés de Shelley et de Stendhal, Les Cenci ne sont pas une pièce psychologique. Les personnages n'intéressent Artaud que dans la mesure où ils sont les supports de forces qui les dépassent, reconnaissables néanmoins comme nos semblables par quelques traits d'humanité commune. Ce qui frappe dans l'aventure de Béatrice Cenci est la démesure qui peut facilement basculer du tragique dans le grand-guignol : drame de viol et d'inceste mâtiné de touches politiques et antireligieuses, où le vieux Cenci règle ses comptes à la fois avec Dieu, le pape, ses pairs, sa famille et lui-même. Le crime est suivi d'une vengeance. Les Cenci, tels que la pièce a été reçue par Artaud de Shelley et de Stendhal et telle qu'il l'a récrite, est à la fois un drame romantique avec son héros du mal, sorte de Faust luciférien ; une pièce d'intrigue avec son complot, ses séides, ses comparses et ses coups de théâtre ; un mélodrame où viendrait pleurer Margot ; une oeuvre sentimentale où s'exhale la plainte des enfants et de la belle-mère contre la méchanceté du père et du mari. Artaud concevait cet ensemble comme un compromis équilibré entre des tensions conciliables : « J'ai essayé de faire parler, non des hommes, mais des êtres ; des êtres qui sont chacun comme de grandes forces qui s'incarnent et à qui il reste de l'homme juste ce qu'il faut pour les rendre plausibles au point de vue de la psychologie ». Aujourd'hui l'on dira que Les Cenci ne sont pas une oeuvre à percevoir comme un spectacle à voir et à entendre, avec les yeux de l'esprit et les oreilles de l'imagination, dans toutes ses dimensions non écrites et relevant de la seule initiative du metteur en scène-maître d'oeuvre : tension des silences, rythme des violences, bruitage et broyage des mots, musique des lumières et des mouvements, métamorphose des affects en gestes symboliques ; en somme, interpénétration constante et imprévisible de tous les possibles d'un spectacle, cette interpénétration étant sensible, à la lecture, par le nombre et l'importance des indications scéniques.
Antonin Artaud aurait voulu que lui soit épargnée la dérision de voir les textes qu'il écrivait au Mexique connus en espagnol avant de l'être dans leur langue originale. C'est pourtant ce qui arriva pour la plupart d'entre eux. Aussi les Messages révolutionnaires furent-ils, à leur parution, une révélation.On y découvre un Antonin Artaud beaucoup plus inséré dans son époque qu'on a voulu le dire et participant comme jamais il ne l'a fait en France à la vie politique et sociale d'un pays qui lui paraît être un creuset de l'Histoire. Sa réflexion sur le marxisme, entamée depuis son passage dans le surréalisme, il la poursuit ici, à vif, en se passionnant pour la révolution mexicaine qu'il souhaiterait plus pro-indienne qu'elle ne l'est. Et, par le «contact avec la Terre Rouge», il cherche à retrouver les secrets de l'antique culture solaire. Grâce à cela, sans doute, les Messages révolutionnaires, écrits en 1936, vibrent toujours d'échos contemporains.
Mon corps est à moi, je ne veux pas qu'on en dispose. Dans mon esprit circulent bien des choses, dans mon corps ne circule rien que moi. C'est tout ce qui me reste de tout ce que j'avais. Je ne veux pas qu'on le prenne pour le mettre en cellule, l'encamisoler, lui attacher au lit les pieds, l'enfermer dans un quartier d'asile, lui interdire de sortir jamais, l'empoisonner, le rouer de coups, le faire jeûner, le priver de manger, l'endormir à l'électricité..
La date du 13 janvier 1947, est aujourd'hui devenue mythique : au Théâtre du Vieux-Colombier, à 21 heures, Antonin Artaud tient une conférence devant une salle bondée où sont présents :
Paulhan, Adamov, Gide, Breton, Camus, Braque, Picasso, Dufour, Derain, Audiberti, et beaucoup d'autres. Ce projet de conférence qu'Artaud avait formé très peu de temps après son retour à Paris, reste un événement hors du commun qui l'a vu s'exposer de manière totale, parfois à la limite du soutenable. Il était venu au théâtre avec trois cahiers contenant un texte soigneusement préparé dont nous donnons ici la transcription établie par Paule Thévenin.
1937 est une année de bascule pour Antonin Artaud. En juillet, il publie sans nom d'auteur Les Nouvelles Révélations de l'Être, où il prophétise une destruction "totale", "occulte", "infernale". Il part ensuite pour l'Irlande, où il ère plusieurs semaines durant en envoyant des lettres innombrables - demandes d'argent, avertissements occultes, "sorts" de protection ou de malédiction...
Le 23 septembre, Artaud est arrêté à Dublin pour vagabondage et trouble de l'ordre public. C'est cet ensemble d'écrits brûlants et hallucinés de 1937, jamais réédité en dehors des oeuvres complètes, que les éditions Prairial rendent à nouveau disponibles.
La langue tombe, s'effondre, resurgit brutalement, verticale : elle se décompose et vit. Publiées en 1937 les Nouvelles révélations de l'être agissent comme une prophétie : «je ne suis pas mort, je suis séparé». Dès lors qu'il se dit «mort au monde», Artaud se trouve incapable de parler en son nom : commence, quelques mois après la publication, le long séjour asilaire qui sera un chemin vers la reformation d'un moi à partir de fragments épars.
« Je ne suis pas Mr Artaud mais Mr ARLAND, j'ai francisé mon nom qui est en réalité ARLANAPULOS. Je suis sujet Grec, né à Smyrne, (Turquie d'ASIE) le 29 septembre 1904. J'habite Paris depuis 1921, j'ai fait des Études en Sorbonne de 1921 à 1923-24, j'ai fourni des adresses à Mr le Médecin chef. Je suis dessinateur de profession. [.] Je me suis réfugié en Irlande, et mes papiers d'identité m'ont été VOLES à la Préfecture de Police de Dublin (DUBLIN CASTLE) tandis que j'étais interrogé sur les raisons de mon séjour là-bas. » Contrairement à certaines affirmations, Antonin Artaud n'a jamais cessé d'écrire. Mais les lettres rédigées depuis son internement d'office à l'hôpital de Sotteville-lès-Rouen en octobre 1937, puis Sainte-Anne et Ville-Evrard, jusqu'à son départ pour Rodez en 1943, semblaient perdues.
Grâce à l'obstination de Serge Mallausséna, neveu du poète, ces lettres inédites ont été pour l'essentiel retrouvées dans les dossiers de l'administration hospitalière ou, au terme d'une enquête quasi policière, dans des collections privées.
Rédigées à partir des asiles, elles sont, pour la plupart, destinées à alerter l'opinion. Beaucoup sont délirantes, d'autres nous relatent son vécu à l'intérieur des différents établissements psychiatriques. Elles sont adressées à toutes sortes de correspondants : des hommes politiques, des docteurs, des infirmiers, des amis du monde littéraire et artistique, à sa famille. La plupart ne sont jamais arrivées à destination, soit retenues volontairement par les services responsables, soit gardées à titre personnel par certains médecins.
Elles permettent de pénétrer au coeur des obsessions d'Artaud et de ses délires, montrent son acharnement à survivre et à être entendu. Elles nous permettent de percevoir ses souffrances, et illustrent également la réalité du pouvoir psychiatrique.
Ces documents exceptionnels, qui permettent de mieux comprendre l'imaginaire et fantastique discours élaboré par Artaud pour recouvrer sa liberté ou faire revivre des personnes absentes, sont aujourd'hui révélés dans leur totalité.
Préface de Serge Mallausséna
Ce double tome I a inauguré une nouvelle édition des Oeuvres complètes d'Antonin Artaud, dont la publication avait été entreprise en 1948. C'est dire que depuis cette époque nos recherches avaient abouti à la découverte de nombreux textes et lettres. Le format actuel a permis d'enrichir chacun des tomes de ces éléments nouveaux qu'il nous a paru indispensable de mettre à la disposition des lecteurs.Le présent double tome est la refonte du tome I et de son Supplément. Il a été, en outre, augmenté de plusieurs textes inédits et de lettres retrouvées depuis 1970. Signalons tout spécialement Point final, publié en 1927 à compte d'auteur, que nous avions fini par croire perdu sans recours et qui a été retrouvé comme par miracle en 1971, texte sans lequel la position d'Antonin Artaud par rapport au surréalisme ne peut être comprise dans sa totalité et sa complexité.Antonin Artaud a toujours lui-même considéré sa correspondance comme partie intrinsèque de son oeuvre, et il est peu d'ouvrages composés par lui et publiés de son vivant qui ne contiennent de lettres réelles. Ainsi, un certain quotidien de sa vie était introduit dans ce que l'on était convenu d'appeler une oeuvre, et agissait comme destructeur de la notion même d'oeuvre.
Ci-gît précédé de La Culture Indienne, deux des plus grandes oeuvres poétiques de la dernière période de la vie d'Antonin Artaud (version bilingue français / anglais).
Très longtemps, antonin artaud a surtout été connu comme homme de théâtre.
Pourtant, sa vie professionnelle est, dans les faits, des plus réduites et il a passé fort peu de temps sur les planches. court apprentissage chez dullin, dans l'enthousiasme. il participe alors, durant à peine plus d'une année, aux spectacles de l'atelier qu'il quitte, déçu, écoeuré, quelques jours après avoir créé le rôle de charlemagne dans huon de bordeaux, d'alexandre arnoux. puis une saison chez les pitoëff et, pendant cette période, deux petits rôles et une figuration sur les autres scènes des champs-elysées dont l'ensemble était dirigé par hébertot.
Ensuite, plus rien jusqu'aux représentations du théâtre alfred jarry: neuf en tout pour quatre spectacles différents donnés entre le ler juin 1927 et le 5 janvier 1929. les auteurs: vitrac, claudel, bien malgré lui, strindberg. c'est peu sans doute, mais il n'est aucune de ces manifestations qui n'ait été un événement, aucune qui n'ait marqué un jalon dans l'évolution de la réalisation scénique.
Heureusement pour nous, de ces spectacles fugaces, antonin artaud a laissé des traces écrites: manifestes ou textes de programme, regroupés au début de ce tome il.
On y trouvera aussi m. projets de mise en scène pour deux pièces qu'il avait espéré pouvoir monter. ecrits pour mettre en confiance les directeurs de théâtre et les convaincre de ses capacités de réalisateur, ils nous donnent des indications concrètes sur ses conceptions propres: comment il comptait faire jouer entre elles la voix des acteurs, moduler avec leurs divers registres, utiliser la surface du plateau, le rôle qu'il accordait à la lumière, l'atmosphère générale qu'il cherchait à créer.
Mais le jeune poète de vingt-trois ans qui avait quitté en 1920 sa provence natale pour venir à paris apprendre le métier de comédien s'intéressait à bien d'autres choses que le théâtre. il visite les salons et les galeries d'avant-garde, il est curieux de tout ce qui paraît et écrit un grand nombre de notes et de comptes rendus dont plusieurs étaient jusqu'à ce jour demeurés inédits. cette activité de critique, il l'exercera jusqu'à son départ pour le mexique.
Les textes qui en témoignent, et sans lesquels on ne saurait presque rien de ses goûts et de ses lectures, ont été rassemblés dans la dernière partie du volume.
Oeuvres complètes - tome iv antonin artaud n'aurait-t-il écrit que le théâtre et son double, ce livre, d'aucuns le pensent, eût suffi à sa gloire.
Pourtant, il paraît en février 1938 dans une indifférence presque totale ; l'auteur, il est vrai, s'est comme tue. a l'issue d'un périple qui l'a mené au mexique, puis en irlande, il a été interné d'office. il le restera neuf ans pendant lesquels ce livre qui compte à peine plus de cent cinquante pages, tiré seulement à quatre cents exemplaires, prêté passé de main en main, surtout parmi les gens de théâtre, va trouver ses fervents.
Ils ne sont pas foule encore quand henri thomas, en 1945, salue sa réédition par le théâtre mort et vivant, étude où l'un des premiers il sait dire que ce livre n'est pas uniquement une méthode et un programme à l'usage des acteurs et metteurs en scène mais qu'antonin artaud y pose " une conception absolue de la vie ". dix ans après maurice blanchot y verra " l'exigence de la poésie telle qu'elle ne peut s'accomplir qu'en refusant les genres limités et en affirmant un langage plus originel ".
Vingt ans après, jacques derrida tentera de cerner les implications philosophiques de ce texte à propos duquel il écrira que " penser la clôture de la représentation, c'est penser le tragique ". tous ont contribué à faire comprendre que le théâtre et son double n'est pas affaire des seuls théâtrologues. il n'en aura cependant pas moins influencé le théâtre contemporain dans la mesure où il aura conduit metteurs en scène et acteurs à modifier l'espace de la scène et le jeu vocal et corporel.
Tout cela concourt à faire du théâtre et son double l'oeuvre d'antonin arthaud la plus lue, la plus traduite, la plus commentée. les quelques quatre cents lecteurs du début se chiffrent maintenant par centaines de milliers et leur nombre ne cesse de croître.
Les cenci, tragédie d'après shelley et stendhal, ont été écrits par antonin artaud en 1935 afin de mettre en application les principes qu'il avait énoncés dans ses textes théoriques sur le théâtre.
Ce fut le premier spectacle du théâtre de la cruauté, c'en fut aussi le seul. il tint l'affiche dix-sept jours, et commercialement ce fut un échec. mais antonin artaud n'a pas tort de constater le " succès dans l'absolu des cenci ". a lire les critiques de l'époque, on se rend compte que tout ce qui alors était blâme et s'exprimait comme tel pourrait aujourd'hui être tenu pour éloge. a ce renversement de la conception théâtrale, les représentations des cenci, tout comme le théâtre et son double, ont sûrement participé.
«Je ne vais pas faire une conférence élégante et je ne vais pas faire une conférence. / Je ne sais pas parler, / quand je parle je bégaye parce qu'on me mange mes mots, / et pour manger il faut des bouches», voilà ce que pouvait écrire Antonin Artaud en préparant la conférence qu'il devait donner le 13 janvier 1947 au théâtre du Vieux-Colombier. Et il est vrai que cette «séance» où il voulait lire plusieurs de ses récents poèmes a été tout autre chose qu'une conférence. Les assistants qui se pressaient, très nombreux, dans cette salle où vingt-cinq ans auparavant il avait participé à la création, par la troupe de l'Atelier, de La vie est un songe de Calderón, semblent tous avoir été marqués par l'événement ; certains ont même trouvé insoutenable cette confrontation avec un homme qui s'exposait aussi totalement. Antonin Artaud, qui en présence de quelques amis était un si merveilleux lecteur, a paru, devant les spectateurs, éprouver la plus grande difficulté à lire les poèmes qu'il avait apportés : les feuillets lui échappaient, s'emmêlaient, tombaient sous la table. Et, après une interruption de quelques minutes, une fois revenu sur scène pour raconter l'histoire de sa vie, il ne parvint pas à lire le beau texte qu'il avait préparé et put tout juste, en donnant l'impression de souffrir intensément à chaque mot qu'il s'arrachait, faire le récit de quelques faits marquants de son existence. Pourtant, il avait attaché une importance extrême à cette conférence et depuis novembre il y travaillait sans relâche. Outre les trois cahiers qu'il avait apportés avec lui au Vieux-Colombier, il avait, les mois précédents, en même temps qu'il composait Suppôts et Suppliciations, rempli des pages et des pages en vue de cette «séance». Ces textes, même si quelques-uns se présentent comme une succession de notes à développer par la suite, nous racontent une histoire dont ils cherchent à nous faire toucher la profonde vérité et, pour cela, empruntent souvent le ton du récit. Leur ensemble nous a paru quelque chose de si particulier, de si bouleversant, que nous avons estimé souhaitable de les réunir dans ce tome XXVI sous le titre choisi par Antonin Artaud pour annoncer sa reprise de contact avec le public.
50 dessins pour assassiner la magie est un texte inédit d'Antonin Artaud provenant d'un de ses derniers cahiers. Peu de temps avant sa mort, il en avait envisagé la publication et souhaitait le voir illustré de cinquante dessins prélevés dans plusieurs de ses cahiers.
C'est ce projet que nous réalisons en reproduisant le manuscrit original de 50 dessins pour assassiner la magie et en donnant sa retranscription en vis-à-vis.
«Il ne s'agit pas ici de dessins au propre sens du terme, d'une incorporation quelconque de la réalité par le dessin.
Ils ne sont pas une tentative pour renouveler l'art auquel je n'ai jamais cru
du dessin non mais pour les comprendre il faut les situer d'abord.
Ce sont 50 dessins pris à des cahiers de notes littéraires, poétiques
psychologiques, physiologiques, magiques, magiques surtout magiques d'abord et par-dessus tout.»
Antonin Artaud.
C'est en 1945, alors qu'il est encore enfermé à l'hôpital psychiatrique de Rodez, qu'Antonin Artaud commence à écrire chaque jour dans de petits cahiers de brouillon que lui fournit l'administration. Sur ces fragiles supports, il réinvente un nouveau corps d'écriture, entre texte et dessin, entre théâtre vocal et danse rythmée de coups de couteaux qui transpercent la feuille. Artaud lui-même parle de « cahiers de notes littéraires, poétiques, psychologiques, physiologiques, magiques, magiques surtout ». Magiques en effet ; l'écriture sous ses doigts est vivante, les pages bougent, les dessins sortent de la feuille : pratique conjuratoire, exorcisme. Souvent il écrit dans plusieurs cahiers à la fois, au hasard des pages ouvertes, déployant ainsi les scène splurielles et éclatées que cherchaient à penser dans les années trente ses théories théâtrales. Jour après jour et jusqu'à sa mort, le 4 mars 1948, il poursuivra ainsi inlassablement la même pratique effrénée d'écriture infinie où il remet en scène, dans un espace qu'il nomme « sempiternel », son dernier Théâtre de la Cruauté.
406 de ses petits cahiers - la quasi intégralité - sont aujourd'hui conservés à la Bibliothèque nationale de France. Certains contiennent les esquisses des derniers grands textes : Suppôts et Suppliciations, Pour en finir avec le jugement de dieu, Van Gogh le suicidé de la société. Tous sont emplis de fragments de poèmes et dessins au crayon ou à l'encre. Une bonne partie d'entre eux sont encore inédits. C'est le cas du cahier publié ici en fac-similé, l'un des derniers, datant de janvier 1948. D'une page à l'autre, dans l'entrelacs des textes et des dessins, on y voit se déployer la « machine de souffle », comme disait Artaud, où s'opère « la matérialisation corporelle et réelle d'un être intégral de poésie ».