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Artaud Antonin
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50 dessins pour assassiner la magie
Artaud Antonin
- Gallimard
- Blanche
- 23 Septembre 2004
- 9782070772377
50 dessins pour assassiner la magie est un texte inédit d'Antonin Artaud provenant d'un de ses derniers cahiers. Peu de temps avant sa mort, il en avait envisagé la publication et souhaitait le voir illustré de cinquante dessins prélevés dans plusieurs de ses cahiers. C'est ce projet que nous réalisons en reproduisant le manuscrit original de 50 dessins pour assassiner la magie et en donnant sa retranscription en vis-à-vis. «Il ne s'agit pas ici de dessins au propre sens du terme, d'une incorporation quelconque de la réalité par le dessin. Ils ne sont pas une tentative pour renouveler l'art auquel je n'ai jamais cru du dessin non mais pour les comprendre il faut les situer d'abord. Ce sont 50 dessins pris à des cahiers de notes littéraires, poétiques psychologiques, physiologiques magiques magiques surtout magiques d'abord et par-dessus tout.» Antonin Artaud.
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«Je ne vais pas faire une conférence élégante et je ne vais pas faire une conférence. / Je ne sais pas parler, / quand je parle je bégaye parce qu'on me mange mes mots, / et pour manger il faut des bouches», voilà ce que pouvait écrire Antonin Artaud en préparant la conférence qu'il devait donner le 13 janvier 1947 au théâtre du Vieux-Colombier. Et il est vrai que cette «séance» où il voulait lire plusieurs de ses récents poèmes a été tout autre chose qu'une conférence. Les assistants qui se pressaient, très nombreux, dans cette salle où vingt-cinq ans auparavant il avait participé à la création, par la troupe de l'Atelier, de La vie est un songe de Calderón, semblent tous avoir été marqués par l'événement ; certains ont même trouvé insoutenable cette confrontation avec un homme qui s'exposait aussi totalement. Antonin Artaud, qui en présence de quelques amis était un si merveilleux lecteur, a paru, devant les spectateurs, éprouver la plus grande difficulté à lire les poèmes qu'il avait apportés : les feuillets lui échappaient, s'emmêlaient, tombaient sous la table. Et, après une interruption de quelques minutes, une fois revenu sur scène pour raconter l'histoire de sa vie, il ne parvint pas à lire le beau texte qu'il avait préparé et put tout juste, en donnant l'impression de souffrir intensément à chaque mot qu'il s'arrachait, faire le récit de quelques faits marquants de son existence. Pourtant, il avait attaché une importance extrême à cette conférence et depuis novembre il y travaillait sans relâche. Outre les trois cahiers qu'il avait apportés avec lui au Vieux-Colombier, il avait, les mois précédents, en même temps qu'il composait Suppôts et Suppliciations, rempli des pages et des pages en vue de cette «séance». Ces textes, même si quelques-uns se présentent comme une succession de notes à développer par la suite, nous racontent une histoire dont ils cherchent à nous faire toucher la profonde vérité et, pour cela, empruntent souvent le ton du récit. Leur ensemble nous a paru quelque chose de si particulier, de si bouleversant, que nous avons estimé souhaitable de les réunir dans ce tome XXVI sous le titre choisi par Antonin Artaud pour annoncer sa reprise de contact avec le public.
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"Je suis définitivement à côté de la vie", écrit Antonin Artaud dans ses "Fragments d'un Journal d'Enfer". Ou encore : "Je finis par voir le jour à travers moi-même, à force de renonciations dans tous les sens de mon intelligence et de ma sensibilité".
Sont ici proposés cinq textes en prose de l'auteur de "L'Ombilic des limbes", à l'époque où il fait partie du mouvement surréaliste :
- Lettre à la Voyante est publié pour la 1ère fois dans la Révolution surréaliste n°8 en 1926.
- Fragments d'un Journal d'Enfer figure au sommaire du n° 7 de la revue Commerce en 1926, avant d'être publié en 1927 dans les Cahiers du Sud à la suite du Pèse-nerfs.
- Héloïse et Abélard paraît dans La Nouvelle Revue Française n° 147 en 1925.
- Le Clair Abélard paraît dans les Feuillets libres n° 47 en 1927/1928.
- Lettre aux Médecins-Chefs des Asiles de Fous est publié dans la Révolution surréaliste n°3 en 1925.
D'un inconscient sauvage, de l'effritement qui le mine, du sang et de cette douleur plantée en lui comme un coin jusqu'à une vérité entrevue, une naissance imminente grâce au contact de la voyante, telle est l'une des voies d'Artaud le Mômo.
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Nouvelle édition revue et augmentée
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Le 26 mai 1946 c'est, pour Antonin Artaud, le premier jour de la liberté retrouvée, liberté totale, il faut le proclamer contre toutes les fausses légendes qui ne cessent de prospérer. Il a enfin échappé à cet espace restreint et confiné des asiles où il avait été enfermé durant neuf années et il est libre de sortir et de rentrer aux heures qui lui conviennent, libre d'aller où il veut, de recevoir qui lui plaît. Des jeunes gens viennent le voir à Ivry, lui manifestent leur admiration et qu'ils attendent beaucoup de lui. Il se sent sollicité et sait qu'il a quelque chose d'essentiel à transmettre. Aussi, dès les premiers moments de son retour, forme-t-il le projet de s'expliquer au cours d'une conférence qu'il se montre, à plusieurs reprises, préoccupé d'organiser. Une autre sorte de contact avec le public va lui être offerte par la proposition, aussitôt acceptée, qui lui est alors faite de publier ses Oeuvres complètes. Son abominable expérience ne pouvant avoir été vécue en vain, il décide de mêler à ses oeuvres anciennes des textes récents qui porteront témoignage du travail accompli ces trois dernières années. Cela l'amène à reprendre, sous un tout autre éclairage, les lettres et adresses dont, jadis, en 1925, il avait été responsable dans la Révolution surréaliste. Ce retour sur son passé, à cette période de sa vie, ne laisse pas d'être remarquable : une trajectoire parfaite est dessinée qui s'achève dans la maîtrise enfin conquise d'une langue que, dans la Correspondance avec Jacques Rivière, il accusait de toujours lui manquer. Elle lui permet toutes les audaces, celle qu'à présent il s'est gagnée et qu'il manie avec une allégresse certaine ; sa pensée n'y rencontre plus ni barrières ni chausse-trapes, elle est sienne entièrement : «Car aucun poète n'a jamais rien à apprendre d'un poète autre que lui. / Il faut faire le vide quand on écrit.»
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Ces mois d'août et de septembre 1946 sont jalonnés de textes-phares, tels le Retour d'Artaud, le Mômo, par lequel Antonin Artaud marque symboliquement son retour au poème et à la vie, l'Exécration du père-mère, Histoire entre la groume et dieu, Centre pitere et potron chier, tous publiés de son vivant et déjà repris dans de précédents tomes. Mais c'est aussi l'époque où il parachève le Préambule et l'Adresse au pape, qu'il veut placer en tête de ses Oeuvres complètes et sur lesquels il revient obstinément jusqu'à l'instant où, de leurs multiples versions, surgit leur forme dernière, pourchassée bien au-delà des frontières de l'impossible. Cette opération par laquelle, membre à membre, le texte se construit et prend corps, la lecture des cahiers nous met à même d'y assister. Elle nous fait toucher combien est lancinante la question de l'écriture : «Je cherche un impossible écrit / qui n'est que dans mes moelles inscrit / et même pas / mais qui dira le vide ou le plein / mieux que moi.» À voir, pourtant, à côté de ces pages dont la composition est à ce point travaillée, les cahiers remplis aussi de textes apparemment jaillis, dont la forme semble, d'un seul jet, être née parfaite et si dense qu'elle ne saurait être transformée sans dommage, on a le sentiment qu'Antonin Artaud, en pleine maîtrise de sa langue, a enfin résolu l'énigme qu'il n'en cesse pas moins de se poser, de nous poser : «Pourquoi écrire ? / Il y a un langage non imprimé / avec lequel je mangerai l'imprimé. / Ce langage est inscrit dans le corps sans lettres.»
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Antonin Artaud, les deux premières années de son séjour à Rodez, en dehors des lettres qu'il adresse à ses amis, n'écrit que fort peu, et les textes de cette période, s'ils font montre d'une extraordinaire virtuosité langagière, tel l'Arve et l'Aume, répondent presque toujours à une sollicitation extérieure ou à une demande formulée par le médecin-chef de l'hôpital psychiatrique. C'est au moins de février 1945 seulement qu'il se met à travailler de façon régulière dans de petits cahiers d'écolier qu'il noircit d'une écriture serrée. Les premiers textes cherchent le lecteur potentiel. Ils sont titrés et leur facture est traditionnelle. Ils présentent un commencement et s'acheminent vers une fin, mais très vite Antonin Artaud abandonne ce type de composition et se met à écrire ce qu'il dit être «des notes psychologiques personnelles qui tournent autour de quelques remarques que j'ai faites sur les fonds de l'inconscient humain, ses refoulements et ses secrets ignorés même du moi habituel». Il écrit alors avant tout pour lui-même, pour obéir à une nécessité, une urgence intérieure pressante qui l'amène à se livrer à une immense méditation où tout se rebrasse : l'être, la mort, l'origine, la filiation, la virginité, la sexualité, où va se consommer, par la mise en cause tant de la métaphysique que de toute religion, sa rupture avec le passé. Sans ces notes qui sont comme la genèse de tous les textes flambloyants qui jailliront après sa sortie de Rodez, un maillon nous ferait défaut. C'est leur lecture et leur étude qui nous donneront peut-être un jour de comprendre comment s'est effectué l'incroyable voyage qui a permis le Retour d'Artaud, le Mômo. Ces notes, les destinait-il à la publication ? La question demeure sans réponse. Ce qui est sûr c'est qu'il a apporté ses cahiers de Rodez à Paris, ne les a pas détruits et s'est même, quelques mois avant sa mort, préoccupé de leur conservation. Dans le tome XV, on trouvera les cahiers de février, mars et avril 1945, dans le tome XVI, ceux de mai et juin.
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L'homme qui en juillet et août 1945 poursuit sans répit son travail a, par l'écriture, déjoué la contrainte de tout ce qui ressemble quelque peu à la loi : religion, famille, prééminence de l'autorité médico-psychiatrique. Seul au milieu des malades qui sont ses compagnons quotidiens, il ne l'est qu'en apparence car c'est le moment où il s'entoure d'une famille mythique de filles aimantes dont il est le père unique. Renversant la filiation qui, pour lui, beaucoup plus que du «père-mère», procède de la «suie du cu de la grand-maman», Antonin Artaud, de ses deux grands-mères, va faire ses filles premières-nées. Ses deux grands-mères, nées en Asie mineure, qui étaient aussi soeurs dans la vie. L'aînée, qu'il nomme Neneka Chilé, est la mère de sa mère, elle n'a guère quitté Smyrne que pour venir cajoler sa petite enfance. La cadette, Catherine Chilé, séparée des siens alors qu'elle n'était qu'une très petite fille, a été élevée à Marseille. Mariée à dix-sept ans au père de son père, elle venait tout juste d'en avoir dix-huit lorsqu'elle mit au monde son premier enfant. Aussi est-elle souvent dite «Catherine 18 ans». Il ne l'a pas connue, elle est morte deux avant avant sa propre naissance. Autour de ces deux figures majeures se lève une mouvante cohorte de filles, nées des souvenirs laissés par les femmes qu'il a connues autrefois, dans sa vie passée.
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Cette fabuleuse entreprise : la reconquête de son propre moi, dont le lent cheminement a pu se lire dans des centaines et des centaines de pages quotidiennes, il semble, en décembre 1945, qu'elle est achevée. L'oppression religieuse s'est éloignée. De la lutte incessante menée pour s'en défaire demeure une vigilance sardonique dont les effets dévastateurs vont désormais s'opposer à toute emprise métaphysique. L'écriture s'est transformée jusque dans sa matérialité. Elle n'offre plus les lignes sages, appliquées, des premiers cahiers.
Plus large, plus rapide, comme libérée, elle s'entremêle maintenant de signes et de dessins. Pourtant, en ce début de 1946, où Antonin Artaud s'alarme de voir ne pas paraître les Lettres de Rodez, où il redoute que par là même ne se prolonge sa mise à l'écart, c'est, après la période explosive, presque euphorique, d'une communication qu'il avait cru pouvoir retrouver, le repliement dans la solitude et, de nouveau, le débat s'intériorise. Il se déplace aussi et, de plus en plus, le corps va en être le centre : «le corps inamovible de M? Antonin Artaud vivant dont on a cent fois dépecé des duplicata arrachés et qui n'a cessé de rester vivant et lui-même contre toutes les formes qu'on lui prenait». Antonin Artaud ne cessera plus de dénoncer l'inaptitude à la vie du corps dont l'homme dispose, ce corps défectueux, aux fonctions dangereusement séparées, à la sexualité désaccordée, au mode d'engendrement désastreux.
Son indispensable réfection va devenir l'un des mythes symboliques dominants de ses textes futurs. C'est d'ailleurs pendant ces mois-là qu'apparaissent dans les cahiers les principaux thèmes qui se développeront après sa sortie de l'hôpital psychiatrique : la véritable identité de l'homme crucifié au Golgotha, le reniement du baptême, la géographie des envoûtements destinés à fermer la bouche aux consciences lucides, le rôle de la sexualité dans ces ondes perverses qui partent de lieux dispersés sur toute la terre, l'émeute qui s'est déclarée à Dublin autour de sa personne et de sa canne, les raisons profondes de son internement, son refus enfin de disparaître : «Je ne suis pas celui qui a fixé de disparaître sans laisser de traces sur la terre. Je ferai au contraire disparaître la terre avant de m'en aller.» -
La plupart des cahiers recueillis dans ce tome XVIII sont contemporains de Lettres de Rodez. Aussi y sent-on la présence de celle qu'Antonin Artaud a appelée «Madame Morte» ou encore «madame utérine fécale», la poésie noire dont l'âcre beauté traverse les ballades de François Villon ou les poèmes de Charles Baudelaire, comme une sorte de «transe abdominale du coeur et du sexe». Elle a la noirceur de la peste ou de la mort, et éclaire de ses sombres lueurs les textes de cette période où une sexualité violente et désespérée alterne avec une infinie tendresse pour ces ombres de femmes devenues filles d'élection. Est-il exemple plus probant de poésie à l'état pur que ces manières de litanies dédiées à Catherine ou à Cécile : «Cécile la morte couchée après mes coups, et de la gorge fluidique» ? Paul Valéry disait que certains vers souvent étaient des dons. On pourrait croire que tous les mots de ces étranges et bouleversants poèmes ont été comme donnés à Antonin Artaud si l'on ne soupçonnait qu'il les a plutôt arrachés de lui, dans ce «ténesme d'un infini montant». Arrachement qui ne contrarie pas le jaillissement mais au contraire le produit. Dans cet automne 1945, Antonin Artaud préparait deux livres : Le Surréalisme et la fin de l'ère chrétienne, titre-écho de celui qu'il avait choisi, vingt années auparavant, pour le numéro de La Révolution surréaliste dont il avait eu l'entière responsabilité, et Mesure sans mesure, titre aux résonances shakespeariennes. On trouvera dans ce tome des pages écrites pour ces deux ouvrages projetés. Par leur ton, leur forme surtout, elles diffèrent quelque peu des notes quotidiennes des cahiers. Elles ont cette scansion profonde qui, de plus en plus, rythmera les derniers textes d'Antonin Artaud et dont la cadence impressionne si fort l'oreille intérieure du lecteur.
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«Un vieux relent de l'idée du vieil amour m'est revenu un jour à Rodez, en mars 1946 dernier, le jour où j'ai vu débarquer à la gare de Rodez Marthe Robert et Arthur Adamov qui, après neuf ans d'internement, venaient me chercher et me réclamer.» En fait, ces visiteurs étaient venus les derniers jours de février, les 26 et 27. Le 10 mars, Henri Thomas leur succédait, rejoint le lendemain par sa femme Colette. Le principe de la sortie définitive d'Antonin Artaud était acquis : l'accord du docteur Ferdière ayant pu être obtenu, elle n'était plus qu'une question de modalités administratives et subordonnée à la constitution d'un pécule qui assurerait à Antonin Artaud une existence décente. À cela, ses amis s'emploieraient. En attendant, une sortie d'essai avait été décidée et, du 19 mars au 10 avril 1946, il allait, loin de toutes les contraintes psychiatriques quotidiennes, séjourner à Espalion, dans l'Aveyron, en compagnie du poète André de Richaud à qui le
docteur Ferdière l'avait confié. Étrange mentor, assez souvent pris de boisson, et dont Antonin Artaud devait bien des fois modérer les éclats. L'espoir d'une liberté proche lui donne un nouvel élan et, durant les mois de février et mars 1946, il écrit encore plus, peut-être : il va pouvoir enfin communiquer au monde extérieur ce que neuf années d'enfermement et le travail ininterrompu des deux dernières lui ont appris et continue à forger l'instrument qui lui permettra de le faire. L'écriture, qui en devient plus acérée, plus percutante, plus resplendissante aussi, accède parfois à une concision aphoristique. Et il n'est pas surprenant que le problème du langage se pose avec une telle insistance : «Que le français s'en aille, c'est lui qui a fait souffrir ma tête et les choses entre le marteau et la charrue. /Le verbe est un langage à condition de ne pas expliciter, /c'est faire naître des poux.» Les textes écrits pendant ces quelques mois qui vont précéder la libération d'Antonin Artaud sont comme le noeud de son oeuvre à venir, le noeud solide et dur. Et, d'ailleurs, sur la
couverture de l'un des cahiers rédigés à Espalion, il note lui-même ceci : «Mars 1946 / Le fer de moi, / Ia cause du moi.» Le fer c'est la robustesse, le symbole même de la solidité, et il lui a fallu en effet un corps et une tête robustes pour survivre à neuf années de solitude asilaire, pour que subsiste à la fois et se recrée «la cendre en repos de notre moi qui n'est pas cendre mais mitraille comme le sang est de la ferraille et le moi le ferrugineux». -
Avec ce tome XXI s'achève la publication des cahiers de Rodez, témoignage d'une traversée dont, de sitôt, les multiples frayages ne cesseront pas de nous questionner. Traversée de ce que l'on est convenu d'appeler l'aliénation, de ses zones sombres, épaisses, poisseuses. Traversée de la religion, conséquence et en même temps cause profonde de l'aliénation, traversée indispensable à sa curation. Traversée de la langue comme de la pensée, entreprise sans nul doute dès la Correspondance avec Jacques Rivière, mais reprise à Rodez dans un contexte extrême et conduisant Antonin Artaud à maîtriser l'une et l'autre. Il évoque à cette époque «la rapplication du langage» à lire aussi comme «la rapplication du français». Et «rapplication» peut s'entendre à la fois comme une nouvelle application du langage à son objet et, au sens argotique, comme la ruée du français revenant en force s'imposer. La maîtrise de la langue ne se situerait-elle pas dans ce fugitif instant où l'un et l'autre sens parviennent à coïncider ? Et l'une des premières fois où elle s'est jouée à Rodez n'a-t-elle pas été cette «tentative anti-grammaticale» contre le chapitre VI de la Traversée du miroir où il fallait appliquer les mots français à une langue adverse, la faire traverser par la langue mère ? Le 25 mai 1946, Antonin Artaud quitte Rodez, d'une certaine façon, en conquérant qui a su vaincre l'ennemi caché, l'ennemi intérieur qui jusqu'alors lui avait dérobé ses mots et sa pensée et l'avait empêché de réellement parler. «Parler c'est ruer des jambes et des bras jusqu'à ce que la terre en éclate.» Et il n'en finira pas de ruer pendant le temps qu'il lui reste à vivre libre, à peine deux années.
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En ces mois de décembre 1946 et janvier 1947, c'est toujours la même coulée ininterrompue de textes fulgurants, rapides, jaillissants. Antonin Artaud continue à en extraire, pour Suppôts et Suppliciations, ceux qui vont constituer Interjections, et qu'il dicte chaque matin. Puis, à peine donnée la conférence du 13 janvier au Théâtre du Vieux-Colombier, à peine dissipée la déception d'avoir dû constater «arrivé devant le public et à pied d'oeuvre... qu'il n'y avait plus lieu, qu'il était inopérant de dire certaines choses devant un public qui ne voulait pas les entendre et y mordre jusqu'au bout» et d'avoir dû se résoudre à «plier bagage et s'en aller», le voilà sur le point d'entamer un autre ouvrage et se prenant à penser qu'il va lui falloir défendre Vincent Van Gogh. Un tel bouillonnement, un brassage d'idées aussi constant, une pareille agilité intellectuelle laissent pantois. Une rose et son épine suffisent à Antonin Artaud pour que, du même mouvement, la poésie naisse et la pensée se concrétise : «La rose se fait par son épine et non par la graine de son bouton. / Prenez une épine, enfoncez-vous-la dans le corps et vous ferez éclore dans l'air des armées de rosiers qu'il vous suffira de planter en terre pour leur donner de se concrétiser.» Et, dans tout ce foisonnement, la raillerie, jamais, n'est absente : «Moi, Antonin Artaud, / bouillabaisse grossière, / suis roi ignorantin.»
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Nouvelle édition
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La vieillesse precoce du cinema
Artaud Antonin
- Editions de la Variation
- 2 Juillet 2021
- 9782383890201