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Christiane Veschambre
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C'est une oeuvre totalement habitée que Christiane Veschambre signe ici en s'attelant à l'écriture, sa pratique, au point de faire de l'acte d'écrire un caractère : Écrire, un sujet à l'existence propre, un organisme vivant. Au long de textes d'une page la plupart du temps, on suit un être physiquement présent aux côtés de l'auteure, qui, enfant buté et sauvage, à l'image de l'Ernesto de Duras, « ne veut pas travailler », « aime ce qui surgit », « veut un certain sommeil », « tout à coup ne veut plus », « n'apprend rien », « parfois fait le mort », bref, « n'aime pas composer ».... Portrait d'Écrire, donc, d'une intransigeance extrême, qui ne cesse de travailler l'écrivant, de l'entraîner loin de la posture de « quelqu'un-qui-écrit », hors de tout confort. Christiane Veschambre rend ainsi avec justesse « l'accès de vie » la traversant par l'écriture, ce qui « passe » par elle pour la « déloger » de son moi, comme le grondement en elle de la basse langue (titre de son précédent livre), cette langue « souterraine », étrangère à toute légitimité extérieure, et par là impérative et fondamentale.
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Une enfant apparaît au seuil d'une pièce où se tient une femme. Elle reste à la lisière de cet « autre monde ». « D'où viens-tu » est la première phrase du texte, question que la femme pose à l'enfant. Un échange commence entre elles, oscillant entre le monologue intérieur et le dialogue. Les voix alternent et se répondent, chaque fois ponctuées de « dit la femme », « dit l'enfant ».
La femme parle parfois au futur : elle sait, mais pas l'enfant. Si la femme reconnaît l'enfant (« Tu es mon intime autant que mon étrangère »), a peur de l'effrayer, si l'enfant hésite à franchir le seuil de l'inconnu, s'en protège en même temps qu'il l'attire, bientôt leurs deux mondes se révèlent davantage poreux. C'est que le temps n'est pas linéaire ici : présent, passé, futur se croisent, se superposent - comme les deux voix qui peu à peu n'en feront qu'une.
Sans doute Christiane Veschambre ne se sera-t-elle encore jamais autant livrée, bien que toujours tout en pudeur, sur les origines intimes de son écriture, se retournant sur ses chemins, ré-arpentant ses traverses, maintenant de toutes ses forces ce surgissement en elle, cette émotion jamais éteinte, « poing serré, resserré autour de la langue qui file alors comme la lanière du fouet lorsqu'elle est libérée ». -
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Là où je n'écris pas
Christiane Veschambre
- Isabelle Sauvage
- Present (im)parfait
- 7 Novembre 2024
- 9782490385485
« Qu'écrit-on lorsqu'on n'écrit pas ? » est le point d'exploration de Christiane Veschambre dans ce texte qui creuse le sillon de ses livres précédents en interrogeant la langue « déambulatrice » qui infuse, surgit mais aussi échappe. Une langue-être vivant, à l'existence propre face à « l'inaltérable neutre / du réel / qui ne s'écrit pas » ; des thèmes qu'elle avait déjà abordés dans Basse langue, puis Écrire, un caractère et dont la réflexion se poursuit en ayant recours à l'écriture poétique.
Sur ce territoire qu'elle ouvre par deux exergues, l'un de Holderlin, l'autre de Clarice Lispector, Christiane Veschambre met en mouvement une poésie, la « langue handicapée », qui laisse aller et venir, écrire et s'enfuir les calendriers élargis de l'enfance et d'un solstice. Le long des rêves qui la ramènent au passé, elle accueille à nouveau les visites de Mrs Muir, le personnage du film de Mankiewicz, ou encore des filles du côté d'Orouët, du film de Jacques Rozier. Ainsi elle recommence tout à la fois le récit de ce qui a été vécu en rendant vivant ce qui ne l'a pas été, lorsque « le rêve de la nuit / dit / que veut vivre / le rêve destructeur ».
En retours à la ligne, Christiane Veschambre saisit là et écrit ce que le rêve, mais aussi l'angoisse et l'étrangeté qui logent en nous, mettent aux aveux dans la plus stricte banalité du quotidien, mêlant la prose et la poésie comme un passage vers ce qu'il y a de plus intime. Un quotidien au fil duquel son je s'éloigne, sans regret, laissant place à l'inconnu, et peut-être aussi à ce qui n'avait pas de place jusque-là. Une nébuleuse aux prises du présent, dans laquelle ne pas écrire n'a de cesse de battre la mesure du silence. -
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« Quelle écriture tracer autour de Marie qui creuserait le cheminement d'espace clos et ouvert, le charruage incessant, le corps de terre battue, à la fin exilé, écartelé, puis cimenté par toutes ses fissures. Le corps de Marie m'échappe à chaque instant. Tout me le refuse, et le relègue là d'où il a surgi, lieu d'engloutissement présumé, là où il a bien fallu qu'il soit, chair active et enfouie jusqu'au dénudement final, sang clair et noir, lourd, eau tirée du puits, écoulement caillé. Tant d'amour et de violence pour le trouver, l'atteindre où il m'attend, là où les yeux sont vides de regard. Jamais un regard de Marie sur moi, et moi tout juste à hauteur des jupes noires, des pieds de bois, d'un flic-flac sourd qui heurte la cheminée, la terre en ondulations lentes, l'écorce des arbres, les fondrières où roulent les cailloux émergeant de la glaise. » C.V.