«Partout, les gens exhibaient leurs plaies mentales devant des inconnus. Ils exhibaient leur viol par leur père, leur homosexualité mal vécue à l'E.D.F., leur humiliation d'être trop gros, leur douleur de n'être pas remarqué, leur douleur d'être trop remarqué, leur stress après une victoire, leur stress après une défaite, leur harcèlement au travail, leur harcèlement au chômage. Tous exhibaient leur souffrance, tous faisaient pour ainsi dire la queue pour exhiber leur souffrance, parce qu'ils attendaient tous de l'exhibition de celle-ci une compensation à cette souffrance, l'exhibition constituant en somme le remède miracle, l'arme absolue contre la souffrance, un mal contre lequel l'argent et les loisirs organisés ne pouvaient rien, bien au contraire.»
Un jour, Denis, une petite gloire du milieu du rock, trouve un étrange message sur la boîte vocale de son téléphone : Tatiana, une fille avec qui « ça s'était mal terminé » trois ans plus tôt, lui révèle qu'elle a été enceinte de lui, qu'elle a avorté sans lui dire, et qu'il doit maintenant payer. La somme est dérisoire, mais cette brutale reconnaissance de dette bouleverse Denis, anti-héros qui, jusque-là, vivait en bons termes avec ses compromis. Michka Assayas brosse le portrait d'une génération immature, celle des quadragénaires qui n'ont jamais voulu grandir et qui laissent en héritage, sinon des mythes ou des légendes urbaines, le culte de l'argent et de la célébrité, et le mépris pour ceux qui n'ont ni l'un ni l'autre.
Au moment où son fils se passionne pour la musique, Michka Assayas revient sur son expérience cocasse dans un groupe de rock. Un roman générationnel, très attendu par tous les amoureux du rock, foisonnant de tableaux saisissants et d'anecdotes truculentes, qui évoque avec finesse les questions de la transmission et de l'héritage dans un monde en pleine mutation.
Les années vides sont celles de ce jeune homme qui intègre la sixième en 1969 quand d'autres changent, si ce n'est le monde, leur monde.
Découverte de l'adolescence, des relations, souvent complexes, qui s'établissent par logique, par hasard ou par dépit. Découverte du corps aussi, par le biais d'une professeur de français maoïste qui semble conforter le garçon dans une vision crue et réaliste de sa vie. Il s'écarte toujours plus de cette jeunesse fantasmée, il est comme écrasé par le poids des anciens. Certaines expériences pourraient l'intégrer à ce monde : expérience de la fumette, du sexe en groupe, du militantisme avec la mobilisation de l'hiver 1974 ou encore des concerts, mais rien ne le touche comme il l'espère. Il se sent vide, en-dessous de ce qu'on attend d'un jeune homme de son époque, imperméable aux plaisirs de la vie lycéenne et de ses distractions qu'il rabaisse au rang de supplices. La réponse se trouve peut-être dans la découverte des Beach Boys et de l'album Pet Sounds : « Des voix d'hommes se mêlaient trop aiguës, se perchant et s'étirant jusqu'à la fêlure. Ils tentaient en vain de redevenir des enfants, mais une lourde pierre lestait déjà leur cheville : ils disaient adieu, les yeux pleins de larmes, à cet âge de leur vie. [...] Ils se noyaient et c'est cela qu'en moi je pleurais sans honte. » Michka ASSAYAS est un auteur et un journaliste français. Il est notamment l'auteur du Dictionnaire du rock (Robert Laffont, 2002) considéré comme une référence et régulièrement réédité.
« En novembre 2009, j'ai perdu mon passeport. J'ai déposé une demande pour en obtenir un nouveau. On m'a recalé. Dans la France d'aujourd'hui, être un Français né en France de parents français n'est pas une preuve de nationalité. Mes parents ont été naturalisés bien avant ma naissance, je n'ai jamais su au juste ni quand ni comment. Plus de soixante après, l'administration française prétend ne pas les connaître. Cela m'a révolté et aussi humilié. J'ai ressenti que c'est à eux que l'on reprochait, à travers moi, d'avoir commis une faute. Je croyais échapper à mes origines, elles m'ont rattrapé. J'ai été élevé en Île-de-France par une vieille nounou hongroise, dans un monde cosmopolite qui n'existe plus. Si j'ai une identité, c'est celle-là. J'ai écrit ce livre pour célébrer ce continent englouti, dans ses éblouissements comme dans ses failles. »M. A.
Nous retrouvons ici le narrateur des Années vides, sorti de l'univers scolaire, propulsé à l'âge d'homme. Critique rock, il affronte l'existence avec les mêmes difficultés, les mêmes obsessions. Confronté au temps qui passe et aux belles années qui depuis longtemps sont évanouies, laissant l'insouciance de l'enfance plier sous le poids de la vie, il avance malgré lui. Emmanuelle apparaît à ses côtés aussi vite qu'elle disparaît. La jeune fille représente ce passage vers l'âge adulte et lui confère une posture d'aîné qu'il peine à investir. À travers elle il se cherche, il s'accroche. Cette errance se fait également sentir dans son activité de critique. Là où d'autres bâtiraient d'impérissables souvenirs, lui se surprend à vivre ces moments intenses comme de simples anecdotes qu'il raconterait une nouvelle fois pour tenter d'en extraire une force qu'il n'a jamais su ressentir. Puis survient la mort du père. Les souvenirs s'imposent au narrateur et avec eux, l'introspection qui est de mise. Michka Assayas entraîne le lecteur à ses côtés, lui permettant d'être au plus proche des sensations et des sentiments qui l'habitent.