Monique Borie
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Maurice Maeterlinck, au même titre que Henrik Ibsen, Anton Tchekhov ou August Strindberg, fait partie des grands dramaturges : tous contribuèrent à transformer la conception du drame. L'influence de Maurice Maeterlinck dans l'histoire du théâtre du XXe siècle s'est exercée à la fois sur le plan théorique et sur le plan pratique. Elle a notamment nourri les recherches de Meyerhold et de Kantor. Aujourd'hui, de Claude Régy à des metteurs en scène de la nouvelle génération, on voit s'opérer la redécouverte de cette oeuvre. Auteur de pièces aussi fameuses que L'oiseau bleu ou Pelléas et Mélisande, Maeterlinck fut une figure emblématique du mouvement symboliste. Son écriture théâtrale ne saurait être dissociée de ses essais que traverse la référence à la pensée mystique et à la tradition ésotérique - une référence centrale chez les artistes symbolistes. Contre le naturalisme, Maeterlinck revendique aussi pour le théâtre la nécessité poétique de tracer le chemin « de ce qu'on voit à ce qu'on ne voit pas ». Cette ouverture à l'invisible est la clef de son univers dramatique - la question du voir, avec ses pouvoirs et ses limites, devient centrale. L'espace de son théâtre n'est autre que cet espace d'où est porté ce regard aux frontières du visible, un espace humain au bord de la mort et où seul importe ce qui traverse les âmes.
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Antonin Artaud, le théâtre et le retour aux sources
Monique Borie
- Gallimard
- Bibliotheque Des Idees
- 22 Novembre 1989
- 9782070717330
De ce travail d'une grande originalité d'approche et d'une vraie nouveauté émerge un autre Antonin Artaud, qui n'est plus le «fou» ou le «littérateur» entre lesquels oscille l'hagiographie artaudienne, mais un anthropologue qui se consacre à l'exploration intérieure des «sources» : sources imaginaires ou plutôt sources de l'imaginaire, les «mondes perdus» tels les Galapagos de la légende, sources historiques (Rome et la Syrie de Héliogabale), mythes des origines, et, enfin, terre réelle, celle des Tarahumaras. Ce retour aux sources, Artaud l'accomplit parce qu'il a d'abord rejeté le matérialisme et la technologie de l'Occident, l'idéologie du progrès, le faux rationalisme qui devient une pensée séparatrice. Et que l'exercice de la création, en peinture, en poésie, au théâtre, converge avec l'«ethnologie combattante» qui va s'accomplir dans l'expérience du Mexique et «l'impossible voyage vers les sources». Le théâtre réalisant toutes les potentialités que la démarche d'Artaud a explorées. C'est par là que le point de vue de Monique Borie - ne pas s'attarder sur la démence - et ses recherches, notamment sur la peinture d'Artaud, ses rapports avec l'alchimie et l'ésotérisme occidental, renouvellent profondément la critique d'Artaud. C'est sans artifice ni violence que l'auteur restitue à son oeuvre une cohérence et une profondeur que la légende et les polémiques ont souvent empêché de saisir.
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Une interrogation traverse les grandes réformes du théâtre moderne : le rapport de l'acteur, corps de chair, à la sculpture, corps de pierre. Pour devenir « art », la scène engage le dialogue avec les autres arts et c'est à sa relation, jamais étudiée auparavant, avec la sculpture, que ce livre se consacre. Sculpture qui intervient comme une image de combat dans la lutte contre la tentation réaliste que peut nourrir le corps vivant de l'acteur et dont il s'agit de se libérer pour bon nombre de gens de théâtre, d'Adolphe Appia à Vsevolod Meyerhold et d'Étienne Decroux à Jerzy Grotowski ou Eugenio Barba. Ils se placent à la frontière entre le corps vivant et le corps sculpté et s'inspirent pleinement de cet « ailleurs ». De l'autre côté, se dessine la famille qui va de Maurice Maeterlinck et Edward Gordon Craig à Tadeusz Kantor ou même Jean Genet - où les enjeux de la référence à la statuaire associent à la dimension purement plastique une dimension que l'on peut qualifier de métaphysique, au sens d'Antonin Artaud.
Il s'agit ici de placer le théâtre au coeur du dialogue avec l'art de la sculpture et de convoquer les propos et les visions des historiens de l'art ou d'un Auguste Rodin, Antoine Bourdelle ou Alberto Giacometti afin d'éclairer conjointement la quête du théâtre et la sculpture. Monique Borie pose la question et interroge les enjeux de la matière aussi bien que les tensions entre le vivant et l'inerte, le mouvement et l'immobilité, la vie et la mort. Elle se situe au carrefour des arts en découvrant comment le corps de pierre regarde du côté du corps de chair. Tandis que le théâtre, lui, art du corps de chair, regarde du côté du corps de pierre.
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écrits sur le théâtre
Antonin Artaud, Monique Borie
- Solitaires intempestifs
- Du Desavantage Du Vent
- 9 Juin 2022
- 9782846816274
La fécondité véritable d'Artaud est celle d'un discours qui porte en lui la force d'une pensée sur le théâtre visant à briser les frontières de ce qui est. Comme le rappelait Grotowski : « Artaud est un poète du théâtre, c'est-à-dire un poète des possibilités ».
C'est cette ouverture des possibles qu'il faut chercher dans les textes d'Artaud, en n'oubliant pas de se rappeler sa vision de la force des mots, habités par une énergie capable de rejoindre la force des gestes. De cette fusion de moyens d'expression chargés de force naîtra, pour le théâtre, un pouvoir d'efficacité comparable à une authentique action magique. Une efficacité capable d'atteindre le spectateur dans son esprit mais aussi dans son corps. Peut-être pourrait-il en être ainsi pour certains lecteurs ...
La beauté mais aussi la difficulté des textes d'Artaud vient aussi de l'importance de leur dimension poétique, de l'énergie d'une parole qui s'avance par métaphores et se charge de visions. Mais de visions dessinant pour le théâtre un horizon limite vers lequel se diriger, traçant ainsi un chemin vers la quête de réponses concrètes. En effet la pensée du théâtre qu'il propose n'en porte pas moins en elle, dans sa radicalité, l'ouverture aux enjeux concrets de la mise en scène dans son travail sur le langage, sur l'espace, sur le jeu de l'acteur, sur la relation au spectateur. Artaud n'ignore rien de la matérialité scénique, mais il la charge d'une signification qui doit dépasser cette simple matérialité.
Les textes d'Artaud tracent le chemin vers un modèle rituel que les grandes expériences des années soixante ( Brook, Grotowski, le Living theatre, Barba) se sont réapproprié et qui habite encore certaines expériences contemporaines comme celle de Romeo Castellucci.