La fugue est la forme qui embrasse la quantité de significations maximale...
Rives de goudron est le livre des fugues. Les 8 fugues d'abord, mêlées d'un prélude, d'un inter et d'un postlude, qui composent formellement cette curieuse épopée. Une fugacité plus insidieuse ensuite, fuite dans le temps et la géographie, fuite qu'on n'entend ni ne voit, qui fait dériver loin les personnages les souvenirs les sensations. Fugue encore intraçable au matin du départ
Gertrude Stein, née le 3 février 1874 en Pennsylvanie, morte le 27 juillet 1946 à l'hôpital américain de Neuilly. Ces 2 dates, ces deux lieux, encadrent une vie passée de chaque côté de l'Atlantique, passée entre 2 siècles. D'où vient-elle ? La dernière d'une fratrie juive américaine dans une famille de commerçants aisés, d'origine allemande. Le passage d'un continent à l'autre est inscrit dans les gènes... et tout au long de sa vie, Gertrude ira de l'un à l'autre. Qui est-elle ? Tout d'abord, une insatiable curieuse qui aime s'instruire et se familiariser avec ce que la vie intellectuelle produit de nouveau : le « flux de conscience » qu'elle découvre à l'université auprès de son professeur William James, frère d'Henry, les travaux de Charcot sur l'hypnose et l'hystérie, les grands opéras de Wagner... Une admiratrice et un mentor, ce qui la conduira à être une collectionneuse fameuse, de Picasso tout au long de sa vie, mais aussi de Cézanne, de Renoir, de Picabia, de Juan Gris, de Matisse... tout ce qui a compté en peinture dans la première partie du XX e siècle s'est retrouvé sur les murs de Gertrude. Un écrivain, bien sûr, qui a trouvé de nouvelles formes, un rythme d'écriture singulier, des oeuvres souvent difficiles qui lui ont valu une reconnaissance tardive mais bien réelle, en Amérique où elle fait une tournée triomphale de conférences en 1935 et en France. Une amoureuse moderne, qui après avoir eu des difficultés à se définir comme homosexuelle, a ensuite pratiqué une forme de militantisme tranquille : elle a vécu une vie maritale avec Alice Toklas, rue de Fleurus à Paris comme dans le petit village de l'Ain où elles ont acheté une maison, sans rien cacher de leurs liens. Enfin, une européenne de coeur, elle qui a tant aimé Paris, bien sûr, la province française qu'elle a traversée au volant de ses différentes voitures (des Ford, exclusivement) qu'elle a aimé baptiser (Tatie, Govida...) et dans lesquelles un bagage signé Hermès accueillait les chiens qui ont les ont accompagnées, notamment le caniche Basket et le chihuahua Pépé... Elle a autant aimé l'Angleterre, l'Italie et l'Espagne, le pays de Pablo dont elle dit : « Il est naturel qu'un Espagnol ait exprimé en peinture l'âme du XX e siècle où rien ne s'accorde, ni la sphère avec le cube, ni le paysage avec les maisons, ni la grande quantité avec la petite. L'Amérique et l'Espagne ont cela en commun, c'est pourquoi l'Espagne a découvert l'Amérique et l'Amérique l'Espagne. » On pourra regretter, et le travail de Philippe Blanchon ne le passe pas sous silence, son manque de sens politique qui lui a fait notamment rapprocher Hitler et Roosevelt...
Variations de Jan se déroule en cinq variations où les vers s'entourent d'une nouvelle étoffe, où un nouveau souci se rappelle depuis le souffle de La Nuit jetée (le premier livre paru de son auteur).
Dans ce poème-narration, « variations » s'entend au sens musical ; chacune d'elles, autour de troubles guerriers et amoureux dont l'atelier de Jan serait le centre, d'où un siège serait tenu, d'où un singulier combat serait mené, sont autant de scènes, de représentations, d'une légende rapportée avec une distance troublante. La présence de générations successives participe de cette volonté de placer la fiction dans un cadre à échelle humaine autant que légendaire. Et parmi ces échos légendaires semble dominer celui de la guerre de Troie...
Est-ce « un avant » ou « un après-guerre » ? Les guerres sont-elles achevées ou à venir ? Les personnages sont-ils épargnés ou non ? Les questions demeurent.
Le trouble que projettent ces variations filtre dans une espèce de nuit tout autant intérieure qu'extérieure.
Quelque chose d'un cinéma inédit, presque, (ou de théâtre d'ombres), tout aussi plein de sa nuit que de la projection d'images ou d'effets d'images qui tour à tour viennent et repartent, pour à leur tour ajouter à la nuit la nuit...
Fortune n'est pas un simple recueil de poèmes, mais plutôt une « suite » ou un ensemble de « variations » au même titre que les deux précédents ouvrages de l'auteur. Ici, une narration fragmentée reprend une traversée ferroviaire d'un personnage, Étienne, surnommé « Leblanc », d'une côte à une autre, d'une mer à une autre. Ce qu'il perçoit ainsi que ce qu'il a laissé, ce qui le traverse dans les instants de torpeur ainsi que ce qu'il projette pour son arrivée influent musicalement sur la composition du livre aussi bien que sur ses rythmes. Par ailleurs, ce dernier opus prend ses distances avec les précédents qui s'inscrivaient tous dans la composition et le prolongement des Motets de l'auteur - ne serait-ce que par la récurrence des personnages. Un lien demeure toutefois avec son dernier, Variations de Jan, en ce que la Guerre de Troie en constitue l'arrière-plan lancinant. L'histoire fait retour sans cesse, percutant l'intime et provoquant les heurts métriques, ses syncopes, autant que l'allongement du vers parfois quand il s'agit de faire retour, ou tenter une synthèse de cette multiplicité d'approches. Les échos sont multiples : Conrad et Joyce, Maïakovski et Khlebnikov, Henry James et Homère. Mais surtout, les temps présents - avec leurs révoltes, leurs exils et leurs luttes - agitent un corps entre précipitation (panique) et méditation (pensée). Sans trame narrative, sans les sens sollicités sans cesse et sans l'invention en chemin, ce qui s'approche ici de l'élégie ne semblerait pouvoir trouver de voix chez cet auteur.
Réédition de l'étude biographique de Joyce, reprise et corrigée et initialement publiée chez Golias.
Ces Suites peintes de Philippe Blanchon se situent à la fine pointe de l'écriture poétique actuelle sans jamais verser dans quelque effet de mode. Elles démontrent une exceptionnelle puissance du verbe en même temps que sa maîtrise. La sensibilité de l'auteur ouvre sur des champs de création annexes à la création poétique proprement dite. L'écriture de ce livre se présente comme étant de la main d'un personnage, Martin.
Son titre indique les deux axes majeurs et complémentaires du projet poétique de l'auteur : musical (poétique) et pictural. Si les autres ouvrages de l'auteur sont dominés parfois par l'attention fictionnelle, dans ce recueil, les poèmes tentent de rendre compte des équivalences entre peinture et poésie par une complicité de gestes, de respirations et de regards. Le terrain historique, jamais très loin, se conjugue au terrain géologique.
La présence des champs, des mers, des visages, des figures tutélaires du peintre (et du poète) semble incarner cette part commune. On perçoit ici une influence de poètes russes (mais aussi américains) qui sont rentrés parfois, sinon souvent, en dialogue avec les peintres (tels Vélimir Khlebnikov, bien sûr, mais aussi William Carlos Williams, lesquels constituent des références majeures pour l'auteur).
Ce livre est comme une quête commune du corps, yeux, mains et oreilles tendus.
Il est urgent de rappeler le parcours d'un homme, Althusser (1918-1990), qui a suivi l'évolution suivante : Foi apolitique (acceptant des amitiés royalistes sans adhésion de sa part) à la découverte de courants chrétiens soucieux de la « cause sociale ».
Van Gogh a beaucoup aimé, a énormément travaillémais il fut rejeté des communautés humaines, qu'elles soient religieuses ou artistiques. Il n'eut pourtant d'autre aspiration que de travailler en paix en percevant un salaire d'artisan ou d'ouvrier et de connaître les plaisirs du foyer.
Peintre essentiellement, il connut d'autres expériences par soif de plus vastes connaissances et par humilité. Ainsi jeune homme, il fut un « prêtre ouvrier » avant l'heure, partageant la vie desmineurs et leurs révoltes. Peintre accompli, il n'aura de cesse de lutter contre le mépris, l'injustice et les humiliations. Ses luttes quotidiennes nous rappellent combien de femmes et d'hommes ont souffert et souffrent de ses préjudices.
La victoire de Van Gogh est incarnée par les chefs d'oeuvre qu'il nous a laissés. Chefs-d'oeuvre consolant qui sont autant une victoire sur les souffrances qu'une extraordinaire victoire de peintre. Il nous incite à la constance dans la quête de la justice ; et dans l'art, à la rigueur pour que la beauté s'accomplisse, que l'esthétique triomphe de son auteur en parfaite adéquation avec l'éthique.
Ces poèmes s'inscrivent dans un lieu et sont l'histoire : faits énoncés ou passés à travers les canailles de la fiction.
Lieux et Histoire visités par des personnages, Martin et Sandra, qui s'y trouvent confrontés. Nous les suivons un jour et une nuit dans les deux parties de LA VILLE ET LE CERCLE. L'histoire de Martin se poursuit comme on retrouve une ville, Toulon. Les livres, de James Joyce, Martin Eden de Jack London, notamment traversent l'ensemble. Les citations (Cummings, Beckett), les allusions (G Oppen, Proust, Celan) dessinent autant de personnages, de faits, de fictions, de paysages, d'exils, de passages.
Mise en miroir par la composition: ces deux parties sont construites en sections de 5, 2, 4, 6, 1, 6, 4, 2, 5 poèmes. La troisième partie NOVEMBRE EN PLACE est composée de poèmes de la main de Martin. Ils recouvrent une année. Leurs références y sont nombreuses, certaines récurrentes:, Joyce (Stephen et Bloom), J C Powys (mythologie personnelle et relations amoureuses), Maïakovski (qui en 1921 revoit l'homme qu'il fut en 1915), Khlebnikov, Musil.
Poèmes méditatifs dans lesquels la littérature est au coeur, mais aussi les sciences et la théologie. Ici chaque citation est replacée pour le besoin de la pénétration du sujet, de la saison, du mois, d'un état. La vie de Martin est ainsi reprise à travers ses lectures, ses "études" et ses silences enfin. Après une journée et une nuit, c'est une année parcourue dans ce qui devient un retrait face à l'Histoire.
Mais cette dernière se trouve, plus que jamais, centrale en ses derniers bouleversements et ses résonances persistantes. Symétrie encore: LA VILLE ET LE CERCLE et NOVEMBRE EN PLACE sont, chacun, composés de 70 poèmes. Obsession de la fondation après la construction. La lyrique après/avec l'épopée.
Dans Capitale sous la neige (Livre de Nathan), nous retrouvons Florence, Jacques, Mary, Jan et Jean de La nuit jetée (Livre de Jacques), et des personnages nouveaux apparaissent : Émilie, Nathan, Ulysse... dont les biographies s'inventent, d'une épiphanie l'autre, donnant corps au poème.
Comment rendre à chaque personnage sa biographie ?
Quand nous sommes niés ou jugés coupables inexorablement, il demeure la biographie de quelques-uns, donc de tous, pour tendre la main et refuser les diverses formes de négations.
Par le poème renverser Roman et Histoire, en les absorbant, et inventer une nouvelle fiction. Nous sommes faits de mythes, de sciences, de théologies, de géographie, de philosophie (veille et sommeil de tous et de chacun) ; de poésie enfin. La fiction ici se lira en vers. Et le poète, par ses apparitions et ce qu'il fait apparaître, peut disparaître.
Deux écrivains ont vu Livre d'image de Jean-Luc Godard. Ils ont chacun écrit à son propos... Un échange s'en est suivi... Ils se sont écrits, ont écrits des proses en échos à celles de l'autre.
Ainsi, outre une étude d'un genre libre sur ce film, il y est question de la filmographie de Godard, de son art, de questions politiques, éthiques et le montage de l'ouvrage se veut répondre à la nécessité de montage du cinéaste.