" Il est très probable qu'aujourd'hui, de façon obscure, devant ses oeuvres, nous sentons qu'elles sont nées en dehors de toute tactique de séduction comme de toute volonté d'affirmation ou de tout exhibitionnisme spectaculaire. Et cette « pureté » - un mot de son vocabulaire - est plus que jamais bienfaisante.
Dans un moment où l'histoire des cultures est en cours de réécriture et ne peut plus être réduite à la chronique des avant-gardes occidentales, et alors que les études postcoloniales ont plusieurs décennies d'ancienneté, une notion est demeurée jusqu'ici à l'abri de toute révision critique : primitivisme. Le mot est d'usage courant dans la langue de l'histoire de l'art autant que dans celle de la critique et du marché de l'art actuel. La notion dont il est dérivé, primitif, ne saurait plus être employée. Mais primitivisme résiste, fort de l'autorité qu'acheva de lui conférer une exposition célèbre du MoMA de New-York en 1984 et les noms de ses plus fameux artistes - Gauguin, Matisse, Picasso, Kirchner, Nolde, Kandinsky, Klee, Miró, Giacometti, etc. - et de ses plus illustres écrivains - Jarry, Apollinaire, Cendrars, Tzara, Breton, Éluard, etc.
Aussi est-il nécessaire de mettre à nu tout ce qu'il contient de sous-entendus et de stéréotypes depuis que primitif, dans le dernier tiers du XIXe siècle, est une notion centrale de la pensée occidentale. Premier constat flagrant : le colonialisme des puissances européennes, avec ce qu'il suppose de racisme et de conquêtes, est la condition nécessaire du développement de l'ethnologie, de l'anthropologie et des musées. Sans colonies, pas de collections africaines et océaniennes à Berlin, Londres et Paris ; ni de « village canaque » ou « du Congo » dans les Expositions Universelles. Moins attendu : par primitif, cette époque entend évidemment les « sauvages », mais aussi les enfants, les fous et les préhistoriques. Qu'ont-ils en commun ? De n'être ni civilisés, ni rationnels au sens où l'époque veut l'être : ces primitifs sont le contraire des hommes modernes, urbains, savants, industrialisés et surpuissants. En un mot, le primitif est l'envers du moderne, son opposé, sa négation, ce qui résiste au mouvement général qu'on nomme progrès. Freud est l'un de ceux qui l'a écrit le plus tôt.
Ph. D.
Primitivismes:Une invention moderne cherchait à montrer comment et pourquoi l'Europe, à la fin du XIX? siècle, fait du primitif une idée essentielle:au temps de l'expansion coloniale et de la naissance de l'anthropologie, ce primitif s'incarne dans les «sauvages», les fous, les préhistoriques et les enfants. Primitivismes 2:Une guerre moderne continue l'étude des fondements et des usages de la notion jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Trois thèmes s'y tressent.Les arts d'Afrique, d'abord:ceux-ci, après avoir brièvement participé à l'histoire des avant-gardes avec Apollinaire et Picasso, sont captés dans l'entre-deux-guerres par la mode nègre qui se développe en accord avec le discours colonialiste et raciste. Elle les réduit à l'état d'objets décoratifs, sinon publicitaires. Le refus de cette appropriation, ensuite:par ses écrits, ses revues et ses actes, le surréalisme oppose l'Océanie telle qu'il la rêve à ce trop bel art nègre. Dans le même mouvement, il construit une autre histoire et une autre géographie de la création. Celles-ci donnent aux cultures amérindiennes, du Nouveau-Mexique à l'Alaska, à la préhistoire et aux peuples «barbares» anciens, la place qui leur était refusée. Cette contre-culture s'oppose au récit habituel qui veut que la Grèce soit le berceau de la civilisation. Le néoclassicisme s'imposant comme le style des totalitarismes soviétique et nazi, l'affrontement est donc idéologique et politique autant que culturel. Ainsi apparaît la notion de guerre, qui donne son sous-titre au présent volume. Quand Dada fait scandale parle grotesque et le rudimentaire, il se déclare l'adversaire des sociétés occidentales si développées, coupables des carnages de la Première Guerre mondiale. Le surréalîsme, à sa suite, attaque I'ordre du monde occidental - rationnel, standardisé, obsédé parle progrès et le profit - et veut susciter ou ressusciter le temps de la poésie, de la magie et de la liberté naturelles.
Refus des élégances et des traditions académiques, découvertes et fréquentations d'oeuvres issues de cultures considérées comme " barbares " ou " archaïques " par l'Occident, le primitivisme est l'une des données centrales de l'histoire des avant-gardes artistiques à partir de la fin du XIXe siècle.
Le dessein de cet ouvrage est de proposer une histoire non seulement artistique, mais encore culturelle du phénomène, de prendre toute la mesure de cette nostalgie d'une création vierge du pastiche et des règles machinalement appliquées. Peinture et sculpture y tiennent un rôle central, mais poésie, littérature, critique et travaux savants y ont aussi leur part. La préhistoire, les miniatures médiévales, les primitifs italiens, l'Egypte, Byzance : les références sont nombreuses et hétérogènes dès l'époque de Gauguin, qui est aussi celle de Huysmans et des Nabis.
Avec Matisse, Derain, Picasso et Braque interviennent les " fétiches " africains ou océaniens dont on a fait l'origine trop exclusive du fauvisme et du cubisme, oubliant que leur révélation s'inscrit dans un processus largement antérieur, épisode après d'autres, dans la recherche du renouvellement des formes et de leur exaltation.
Que faut-il entendre par «art» au XXe siècle ? Matisse ou Godard, Braque ou Brassai, Duchamp ou Laurens ? Faut-il y inclure les «naïfs», les «fous», les statues «nègres» et les «poupées» hopi ? L'histoire de l'art, quand elle écrit le mot au singulier, le prend pour l'abréviation de «beaux-arts», au sens que la tradition académique assigne à la formule. Or il faut l'écrire au pluriel, car il est prudent de ne pas prétendre savoir ce qui est «de» l'art au XXe siècle, ce qui n'en est pas, ou plus, ou pas encore.
Cet ouvrage reprend la plupart des entretiens que Philippe Dagen a menés avec des artistes d'aujourd'hui pour Le Monde. Comme explique l'auteur, être critique d'art du principal quotidien français lui a permis de rencontrer plus aisément de nombreux artistes en France, aux États- Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne ou en Espagne. Philippe Dagen les a choisis « hors de toute considération d'actualité immédiate », mais en cherchant à aller voir dans toutes les générations et toutes les directions. C'est donc sa curiosité d'historien et de critique qui donne le ton de cet itinéraire au fil duquel apparaissent plus de soixante interlocuteurs. Certains ont disparu depuis lors, comme Bacon, Balthus, Louise Bourgeois ou Lichtenstein, mais la plupart sont vivants - et pour beaucoup très largement reconnus, de Christian Boltanski à Yoko Ono, d'Annette Messager à Gerhard Richter, de David Hockney à Bettina Rheims. Ne manquent à l'appel aucune des « stars » de l'époque, Jeff Koons, Maurizio Cattelan ou Ai Weiwei. Mais des créatrices et créateurs plus jeunes, moins connus - et tout aussi intéressants que les plus célèbres - sont là aussi.
Philippe Dagen les a, chaque fois que cela a été possible, rencontrés chez eux, dans leur atelier, qu'il décrit tout en rapportant leurs conversations, souvent impromptues. Ils parlent d'eux, de leurs trajectoires, de l'actualité, de leur art - et de l'art en général. L'auteur, qui est parvenu à faire parler des artistes parfois réticents, a réuni ainsi une galerie de portraits qui est aussi un paysage instantané de l'art contemporain La réunion de ces entretiens est un document passionnant sur ce monde peu accessible.
A la fois biographique et réflexive, cette monographie cherche à répondre à un certain nombre de questions que soulèvent le tempérament artistique et l'oeuvre exceptionnelle de Picasso surgis à une époque non moins exceptionnelle. Picasso y est considéré en fonction de sa situation en son temps, au sens le plus large du mot, bien au-delà des amitiés et des rivalités strictement artistiques du milieu parisien et français. Lui-même par nombre de ses prises de position n'a-t-il pas affirmé qu'il refusait de s'enfermer dans l'atelier et se réservait le droit d'intervenir dans les affaires du monde - d'y réagir et de leur répondre ? C'est donc d'un Picasso résolument moderne parce que constamment et consciemment confronté à la modernité du monde qu'il s'agira de montrer : comment il laisse cette modernité pénétrer dans ses travaux - matériaux, images, techniques, inventions - et comment, en réaction contre elle, il donne forme picturale ou sculpturale à des archétypes - à des passions, à des pulsions- dont, à ses yeux en tout cas, la permanence atteste de l'intemporalité. Mouvement d'acceptation mouvement de refus : cette confrontation sans trêve est, peut-être, l'explication la plus satisfaisante que l'on puisse avancer de la volonté de changement qui l'a animé au point de laisser l'oeuvre la plus polymorphe et la plus diverse de toute l'histoire de l'art. La réflexion se développe ainsi en quatre mouvements. Le premier, qui s'achève peu avant que la Première Guerre Mondiale révèle la face terrible de la modernité scientifique et industrielle, est celui de l'ouverture à toutes les modernités. La traversée rapide des styles artistiques issus de la Renaissance - de ce qui a été l'art et son histoire jusqu'alors- conduit au moment critique par excellence : le primitivisme, qui peut être pensé comme la négation résolue du moderne, et le cubisme, qui apparaît à l'inverse comme son acceptation et la façon la plus radicale d'en tirer les conséquences plastiques. Le deuxième, dont la conjonction du cubisme et d'un dessin quasi ingresque à Avignon au début de l'été 14 marque le commencement et qui dure jusqu'au début des années 30, se caractérise à l'évidence par la simultanéité de pratiques et de styles si distincts qu'on peut les penser incompatibles, le post-cubisme qui ne disparaît pas, le « néo-classicisme » et l'invention d'une autre peinture encore. Cette période pourrait être dite celle de l'artiste « maître du monde », puisque capable de donner à chaque sujet et à chaque sentiment sa forme visuelle la plus juste - maîtrise qui est aussi celle d'une « vedette » à la prospérité visible, soupçonnable d'embourgeoisement ; celle, en somme, d'un Picasso assuré de ses moyens et de sa logique, de sa position et de sa gloire. La troisième se place sous le signe des monstres, quand la maîtrise maintenue pendant une quinzaine d'années éclate sous la pression d'évènements publics et privés qui sont tous de l'ordre du désordre et du drame. Il n'y aura pas d'ordre, il n'aura que des tragédies. Il n'y a donc plus lieu de maintenir l'équilibre complémentaire entre plusieurs styles, mais de se précipiter dans l'expérimentation, du côté des terreurs et des crimes avec pour principaux compagnons les surréalistes et surtout André Breton. A moins que l'on ne veuille reconnaître dans l'oeuvre picassienne des années 30 et 40 quelque chose comme l'équivalent de l'analyse freudienne - celle du « malaise dans la civilisation » qui tourne à la catastrophe. Ces vérités montrées, que reste-t-il à faire ? D'une part à pousser à ses extrémités les plus affolantes l'expérience de la violence - ce qui a donné la « dernière période » de l'oeuvre selon les terminologies habituelles, longtemps la moins admise et la plus redoutée. Et d'autre part à démontrer par la reprise et la mise à nu de leurs toiles que les grands prédécesseurs de Picasso avaient donné de l'humanité des représentations qu'il suffit de durcir pour y reconnaître les scènes d'Eros et de Thanatos, les Femmes d'Alger et le Massacre des Innocents, le Déjeuner sur l'herbe et L'enlèvement des Sabines. Dans un monde occidental qui se glorifie de ses nouveautés et de sa prospérité, le vieux Picasso rappelle inlassablement - et non sans une cruauté désabusée- que l'histoire est vouée à finir par des désastres - y compris l'histoire de l'art du reste.
Pourquoi réunir le temps d'une exposition Ferdinand Hodler, Claude Monet et Edvard Munch ? Parce que ce sont des peintres essentiels de la modernité européenne, entre impressionnisme, post-impressionnisme et symbolisme. Parce que leurs oeuvres s'avancent dans le XXe siècle - jusqu'en 1918 pour Hodler, 1926 pour Monet et 1944 pour Munch - et qu'elles ont exercé une influence déterminante dans l'histoire de l'art.
Mais, plus encore, parce qu'ils ont, tous les trois, affronté des questions de peinture en apparence insurmontables, avec la même constance et au risque d'être incompris. Comment peindre de face l'éclat éblouissant du soleil, avec de simples couleurs sur une simple toile ? Comment peindre la neige ? Comment suggérer les mouvements et les variations de la lumière sur l'eau ou sur le tronc d'un arbre, malgré l'immobilité de la peinture ?
« J'ai repris encore des choses impossibles à faire : de l'eau avec de l'herbe qui ondule dans le fond... c'est admirable à voir, mais c'est à rendre fou de vouloir faire ça. » Ces mots sont de Monet, mais ils pourraient être ceux du peintre qui, jusqu'à sa mort, s'obstine à étudier l'horizon des Alpes depuis sa terrasse, de l'aube au crépuscule - Hodler. Ou de celui qui revient inlassablement - jusqu'à la dépression - sur les mêmes motifs colorés, une maison rouge, des marins dans la neige, le couchant - Munch. Tous trois ont mis la peinture à l'épreuve de l'impossible. Coédition Editions Hazan/Musée Marmottan Monet. Ouvrage bilingue anglais/français.
Artiste protéiforme, Barthélémy Toguo s'exprime aussi bien par la performance, que grâce aux installations, mais il recourt avec virtuosité au dessin, à la sculpture, à la peinture ou à l'aquarelle selon le message de l'oeuvre et le médium qui lui semble le plus adapté.
Artiste international, il vit et travaille aujourd'hui entre Paris et Bandjoun au Cameroun et ses expositions parcourent le monde. Ses créations sont intimement liées à sa vie, elle s'inspirent de son expérience, de ses voyages et rencontres.
Son travail possède aussi une forte dimension politique contre toute forme d'inégalité. Il s'intéresse notamment aux flux, de marchandises mais aussi d'êtres humains entre l'Occident et l'Afrique. On retrouve souvent dans ses oeuvres les motifs de la migration, du colonialisme, de la race, ou de l'exil.
Mais l'engagement personnel de Barthélémy Toguo se situe aujourd'hui surtout autour de la question de la promotion de l'art en Afrique et plus spécifiquement dans son pays natal, le Cameroun. En 2008, il inaugure Bandjoun Station, un lieu dédié à l'art dans toutes ses disciplines, où ont lieu des expositions, des rencontres, des ateliers et résidences d'artistes. L'accent y est également mis sur la formation scolaire et son fonctionnement économique propre est celui d'une exploitation agricole visant à l'autonomie de ce lieu unique.
« Au cours d'une conversation, il y a quelques mois, Romuald Hazoumé affirmait combien ses oeuvres s'inscrivent dans un lieu et une histoire. De plus en plus, disait-il, j'ai compris que j'étais un Yoruba. Tout ce que je fais a à voir avec cela. Mes oeuvres sont portées par cette pensée du collectif [...], notre travail est fait pour la communauté, depuis la tradition. Nous avons toujours contribué à passer un message. Ce « nous » désigne les artistes africains actuels. » Les oeuvres de Romuald Hazoumè, métamorphoses modernes d'un art traditionnel, évoquent nos contradictions contemporaines où l'humain semble se considérer lui-même comme un objet d'usage, et où les objets symboliques viennent réinitialiser notre conscience de l'histoire coloniale et interroger les rapports de dominations géopolitiques actuels. Les regards européens et africains dialoguent ainsi dans un monde où les migrations font écho à l'esclavage, qu'il soit ancien ou moderne. Ce livre d'artiste est une invitation à se laisser surprendre, grâce aux oeuvres de Romuald Hazoumè, dans un échange ininterrompu entre le passé et le présent.
Que fut la Première Guerre mondiale pour les peintres ? Ce que l'on imagine : l'interruption des relations artistiques en Europe, l'éclatement des groupes, la paralysie des mouvements avant-gardistes qui prospéraient depuis le début du siècle.
Pour la plupart des peintres d'entre vingt et quarante ans, ce fut surtout la mobilisation, quatre années de danger, les combats, les tranchées et, pour plusieurs, la mort. Mais ce fut aussi l'expérience des limites de la peinture. Pour la première fois, un événement capital a, pour l'essentiel, échappé à l'art des peintres. Peu d'oeuvres en sont nées et des questions se sont posées bientôt : que peut le dessinateur ou le peintre face à une réalité trop dissimulée, trop raide, trop moderne pour lui ? Que peut il en comparaison du photographe, sinon du cinéaste, hommes de l'instantané et du document sur le vif ? Doit-il renoncer à peindre l'histoire de son temps, parce que celle-ci lui échappe ou, à l'inverse, doit il chercher des formules nouvelles dans le cubisme et le futurisme ? Celles-ci peuvent elles affronter l'horreur du champ de bataille et l'immensité de la souffrance ? On voit quelles seraient les conséquences si le peintre, décidemment, devait renoncer dans cette épreuve.
Tel est le propos de l'ouvrage, dont les principaux « héros » se nomment Leger ou Dix, Derain ou Severini, Vallotton ou Kokoschka, Beckmann ou Picasso.
1960/2010 : ce livre entend décrire et éclairer un demi-siècle dont on postule qu'il a vu, au plan mondial, des transformations profondes des pratiques artistiques et des rapports que les contemporains peuvent entretenir avec les formes de création qui leurs sont contemporaines. Ces grandes étapes sont précédées d'une première partie qui identifie les nouveaux cadres de fonctionnement de l'art : l'éclatement des pratiques et des critères, la disparition progressive des centres au profit d'une pratique nomade du contact avec l'art, à travers le phénomène des foires ou biennales et celui du poids du marché, sans oublier le phénomène de mondialisation. Une chronologie détaillée replace les faits, manifestes, expositions, foires, biennales, oeuvres repères dans leur temps social, politique et culturel.
Il était une fois un poète moderne. boxeur, critique d'art, neveu d'Oscar Wilde. qui avait hanté les mémoires des dadaïstes et des surréalistes. Il se faisait appeler Arthur Cravan. On date sa mort de la fin de 1918. Se serait-il noyé dans le Rio Grande, à la frontière du Mexique et du Texas ? Nul ne le sait vraiment. Admettons maintenant l'hypothèse romanesque de Philippe Dagen : Arthur Cravan n'est pas mort noyé. On l'a vu retraité anonyme sur les rives du Léman, à Genève, amant d'une très jeune femme. Le poète-boxeur y rédige ses mémoires : l'histoire d'une vie, multiple. désordonnée : combats de boxe et femmes aimées, parties fines avec Marcel Duchamp et Henri-Pierre Roché, amitiés avec Francis Picabia et Félix Fénéon. fâcheries brutales avec Robert Delaunay et Marie Laurencin. Quelle fut donc la logique de cet homme à éclipses ? L'ennui, le goût de la tromperie, le désir d'échapper à soi, la folie singulière d'un transfuge de l'art. Philippe Dagen réinvente ici la vie secrète et véritable d'Arthur Cravan par lui-même : le journal d'un fantôme.
Philippe Dagen, romancier et journaliste, est critique d'art au quotidien Le Monde. Il a publié chez Grasset deux romans, La Guerre (1996) et Les Poissons rouges (2000), et un essai, La Haine de l'art (1997).
Le Livre:
« Pourquoi l'art serait-il impossible aujourd'hui ? Parce que la situation lui est défavorable. Parce que la société contemporaine n'a plus de temps à consacrer aux artistes vivants. Elle réserve son attention aux divertissements que diffuse chaque jour la télévision, aux messages qui répète la publicité, aux mythologies qu'exploite un cinéma dit « grand public », aux spectacles sportifs, aux loisirs. Ces activités ont pour elles l'écrasante supériorité de la facilité, du nombre, de la masse, de l'argent : il suffit de marcher dans n'importe quelle ville, à commencer par Paris, pour s'en rendre compe. On peut en prendre son parti et capituler devant cet état de fait - c'est l'attitude la plus confortable. C'est la plus répandue de nos jours, et aussi celle de bien des artistes eux-mêmes qui, certains de n'avoir plus qu'une audience minime, ont réduit leur champ d'action à leur atelier et au musée, renonçant à exercer une influence quelconque sur leurs contemporains. L'art est ainsi devenu un secteur spécialisé très étroit, soutenu en France par des subventions d'autant plus présentes qu'il lui manque les amateurs et les collectionneurs qui le défendraient. Clos sur lui-même, indifférent au présent, fier de son hermétisme, cet art se condamne au silence parce qu'il ne se croit plus capable de se faire entendre. » Philippe Dagen Dénoncer la société du spectacle ? C'est ce à quoi s'emploie, avec le sens polémique qu'on lui connaît, Philippe Dagen. De l'abêtissement par le Loft au tout-sexuel avec Catherine Millet, de Debord à Walter Benjamin, du système carcéral des musées à la défense d'un certain art contemporain, Dagen s'emporte, convainc, défend. Il ne se résigne pas ! Un exercice salutaire.
Avec ce nouveau volume, Philippe Dagen, professeur d'histoire de l'art à la Sorbonne, critique d'art et écrivain, prend la suite des 4 volumes de«L'art français»d'André Chastel. Ici, une étude de l'art du XXe siècle en France, depuis l'avènement des fauves en 1905 jusqu'à aujourd'hui.
À Paris, dans les années quatre-vingt, un homme célèbre, un maître à penser, meurt dans son appartement. Le difficile n'est pas de mourir, mais de passer dignement à l'immortalité. Or, ceux qui ne sont plus - et même s'ils furent illustres et écrivains - s'en remettent aux survivants : des femmes, épouses et maîtresses qui se souviennent mal, ou se souviennent trop d'avoir été des personnages dans la vie du défunt ; des amis, confrères, disciples, journalistes, qui consentent à sa grandeur autant qu'elle les rehausse ou les avantage ; des parents enfin qui pleurent les larmes ambiguës des héritiers. Et voilà toute une grandeur qui se défait avant même que ne se décompose le corps de celui qui s'était cru, peut-être, protégé du néant.
Il se nomme Antoine Terreau. Qui est Antoine Terreau ? C'est ce que lui-même voudrait ou, plus souvent, ne voudrait pas savoir. Dans les figures changeantes qu'il se donne, au fil de hasards qu'il entend contrôler, au gré d'aventures futiles qu'il veut symboliques, voit-on se faire et se défaire une nature ? Terreau se flatte d'aimer, de penser, d'écrire, de ne plus aimer, de ne plus penser, de ne plus écrire, alternativement. Il se flatte même d'être, et d'abord le cerveau des Éditions justement dites «de l'Être».Mais où se rejoindre quand l'époque vend ses classiques sous forme de téléfilms, quand les mythes sont surexploités, quand triomphent pitres et simulateurs de révolution ou d'ascèse ? Il faut donc partir, partir là-bas, dans un camp de nudistes, puis au coeur de l'Himalaya. Au fond de l'inconnu pour trouver... du banal.Satire ? Sans doute. Conte philosophique ? Roman, à coup sûr. Et foisonnant. Terreau ne sait que fabriquer avec du roman sa vie, avec sa vie du roman. Jamais il ne cesse - mais cesse-t-on jamais ? - de se raconter des histoires.
Si le «primitivisme» désigne le refus par quelques artistes des élégances académiques et la recherche de références puisées dans des cultures archaïques, son champ échappe aux idées convenues : il se révèle plus vaste, et ses débuts bien antérieurs au début de ce siècle. C'est l'apport de cet ouvrage de proposer, après les approches muséographiques, une véritable histoire culturelle du phénomène primitiviste, de prendre la mesure de cette nostalgie d'une création vierge du pastiche et du polissage où l'art aurait perdu son âme. D'autres hommes que les peintres, d'autres aires que l'Antiquité occidentale ont nourri l'interrogation sur la substance de l'art, sur l'intelligence des formes : poètes et romanciers - Huysmans, Rosny, Villiers de l'Isle-Adam, Apollinaire -, essayistes et critiques - Grosse, Faure ou Du Cleuziou parmi d'autres. Dans les années 1880 sont mis au jour des sites préhistoriques, redécouverts les miniatures médiévales et les primitifs italiens, jugées fascinantes les oeuvres égyptiennes et byzantines, est cultivée une religiosité archaïque, sinon «barbare». C'est dire l'hétérogénéité des primitivismes qui ont alimenté la liberté des artistes. Si Sérusier s'inspire des Celtes, quand Gauguin part pour l'Océanie il a déjà connu la sauvagerie bretonne. Quand Matisse s'exalte devant les icônes russes, Picasso et Derain sont fascinés par l'Egypte... Tour à tour et ensemble, ces primitivismes - le pluriel est de rigueur - ont posé la question d'une vérité nouvelle de l'art. Plus tard interviennent les fameux «fétiches» africains ou océaniens dont on a fait l'origine trop exclusive du fauvisme et du cubisme, oubliant - ou négligeant - qu'ils s'inscrivent dans un processus bien antérieur, qu'ils sont un épisode, après bien d'autres, dans la recherche du renouvellement des formes et de leur exaltation.