Il était une fois un poète moderne. boxeur, critique d'art, neveu d'Oscar Wilde. qui avait hanté les mémoires des dadaïstes et des surréalistes. Il se faisait appeler Arthur Cravan. On date sa mort de la fin de 1918. Se serait-il noyé dans le Rio Grande, à la frontière du Mexique et du Texas ? Nul ne le sait vraiment. Admettons maintenant l'hypothèse romanesque de Philippe Dagen : Arthur Cravan n'est pas mort noyé. On l'a vu retraité anonyme sur les rives du Léman, à Genève, amant d'une très jeune femme. Le poète-boxeur y rédige ses mémoires : l'histoire d'une vie, multiple. désordonnée : combats de boxe et femmes aimées, parties fines avec Marcel Duchamp et Henri-Pierre Roché, amitiés avec Francis Picabia et Félix Fénéon. fâcheries brutales avec Robert Delaunay et Marie Laurencin. Quelle fut donc la logique de cet homme à éclipses ? L'ennui, le goût de la tromperie, le désir d'échapper à soi, la folie singulière d'un transfuge de l'art. Philippe Dagen réinvente ici la vie secrète et véritable d'Arthur Cravan par lui-même : le journal d'un fantôme.
Il se nomme Antoine Terreau. Qui est Antoine Terreau ? C'est ce que lui-même voudrait ou, plus souvent, ne voudrait pas savoir. Dans les figures changeantes qu'il se donne, au fil de hasards qu'il entend contrôler, au gré d'aventures futiles qu'il veut symboliques, voit-on se faire et se défaire une nature ? Terreau se flatte d'aimer, de penser, d'écrire, de ne plus aimer, de ne plus penser, de ne plus écrire, alternativement. Il se flatte même d'être, et d'abord le cerveau des Éditions justement dites «de l'Être».Mais où se rejoindre quand l'époque vend ses classiques sous forme de téléfilms, quand les mythes sont surexploités, quand triomphent pitres et simulateurs de révolution ou d'ascèse ? Il faut donc partir, partir là-bas, dans un camp de nudistes, puis au coeur de l'Himalaya. Au fond de l'inconnu pour trouver... du banal.Satire ? Sans doute. Conte philosophique ? Roman, à coup sûr. Et foisonnant. Terreau ne sait que fabriquer avec du roman sa vie, avec sa vie du roman. Jamais il ne cesse - mais cesse-t-on jamais ? - de se raconter des histoires.
À Paris, dans les années quatre-vingt, un homme célèbre, un maître à penser, meurt dans son appartement. Le difficile n'est pas de mourir, mais de passer dignement à l'immortalité. Or, ceux qui ne sont plus - et même s'ils furent illustres et écrivains - s'en remettent aux survivants : des femmes, épouses et maîtresses qui se souviennent mal, ou se souviennent trop d'avoir été des personnages dans la vie du défunt ; des amis, confrères, disciples, journalistes, qui consentent à sa grandeur autant qu'elle les rehausse ou les avantage ; des parents enfin qui pleurent les larmes ambiguës des héritiers. Et voilà toute une grandeur qui se défait avant même que ne se décompose le corps de celui qui s'était cru, peut-être, protégé du néant.
Sous-lieutenant au 329e régiment d'infanterie en 1940, Charles Bruguières déserte. Faux ancien combattant démobilisé, professeur de lettres à Montauban, esprit prudent, il se laisse mener par son dégoût de lui-même et du monde. Rien ne ressemblait alors plus à la France de 1941 que Montauban : population aussi neutre et indécise que la grande majorité des Français à cette époque, proviseur maréchaliste, collègues au lycée d'une lâcheté feutrée, fêtes patriotiques où l'on salue à l'antique la France nouvelle. Charles Bruguières, mécontent de lui et des événements, hésite. Faut-il devenir un héros ? Faut-il glisser à la couardise générale ? Entre la révolte et la honte de dire toujours oui, il balance. Sous la forme d'un journal intime, ce roman traite de la guerre : celle que nous faisons aux autres. Celle que nous menons contre nous-mêmes.
Qui a volé Les poissons rouges ? Plusieurs tableaux célèbres qui tous portent ce titre ont dispau. Une enquête difficile s'engage. Fausses pistes et faux-semblants mèneront chacun au bout d'un jeu de dupes.
Dans le bocal du roman, les personnages tournoient. Il y a Schaeffer, directeur d'un quotidien, jouisseur las et stratège, qui observe chaque jour le déferlement de l'information. Il y a Jouffroy, ancien chef magasinier à la Bibliothèque Nationale, qui ne sait que faire de son temps. Il y a Delcourt, journaliste qui raffole des filatures de l'ombre, obsédé par sa proie. Monval, homme de réseaux politiques et des secrets. Il y a Salmon, flic rêveur et dépressif, qui se noie dans l'enquête qu'il devrait résoudre. Tous se frôlent, s'approchent, s'évitent, se dévorent.
Philippe Dagen, moraliste à sa manière, s'interroge sur l'absurdité de nos actes. Roman policier ? Satire du monde de l'art ? Comédie de l'actualité ? Querelle dans un aquarium ? Nous sommes tous des poissons rouges.
Philippe Dagen est l'auteur, chez Grasset, d'un roman : La guerre (1996) et d'un essai, La haine de l'art (1997).