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Atelier Contemporain
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Pourquoi les fleurs : Un autre voyage en Italie
Marion Grébert
- L'Atelier Contemporain
- 4 Avril 2025
- 9782850351778
Les fleurs nous sont si familières que nous ne croyons pas nécessaire de nous interroger sur leur histoire. Saurions-nous cependant dire pourquoi elles ont une telle présence dans nos vies quotidiennes et dans les arts, et pourquoi nous leur accordons une telle importance ? Avons-nous idée de l'adaptation biologique que cette persévérance leur a demandée, connaissons-nous les épreuves qu'elles ont traversées dans nos ordres politiques, économiques et religieux pour persister si durablement ? Pouvons-nous retrouver avec elles la mémoire de nos constructions culturelles, celles dont nous les avons constamment rendues dépositaires ? Dans l'aventure de ces questions, la Rome antique et l'Italie se révèlent être le grand territoire des transmissions florales. De ce fait, cette histoire s'entremêle peu à peu au devenir de l'Europe - la France, les Flandres, l'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre. Dans les jardins, les rituels, les croyances, les régimes de pouvoirs, dans la peinture, la poésie, et bien plus tard dans le cinéma, les fleurs tiennent une place faussement insignifiante. Dès lors qu'on porte sur elles toute notre attention, on se met peu à peu à retracer une longue métamorphose sensible des formes et du regard. Au cours d'un voyage en Italie, de l'Antiquité à la période la plus contemporaine, on les voit composer nos paysages réels et imaginaires, comme autant d'énigmes sur les temps et les espaces que nous occupons, transformons et inventons. Les fleurs apparaissent soudain en ce qu'elles sont pour nous : les miniatures de nos intentions les plus fragiles et les plus ambitieuses, d'une offrande funéraire pour la femme aimée il y a deux mille ans, à l'établissement impérieux de nos religions et de nos idéologies.
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Pierre Bonnard. Le feu des solitudes charnelles
Yannick Haenel
- L'Atelier Contemporain
- 18 Octobre 2024
- 9782850351600
Récit d'une fascination et exploration d'une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S'immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d'un oeil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l'auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l'écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.
« C'était le printemps et je regardais des Bonnard. Je contemplais ses nus chaque jour sur des catalogues, des monographies, des cartes postales ; j'allais chercher sur Internet d'autres nus - des nus que je ne connaissais pas - pour les imprimer et les avoir avec moi. »
Circulant de tableau en tableau, Yannick Haenel restitue l'intensité de sa passion avec la générosité du peintre : « [...] Nu au gant bleu, Nu devant la cheminée, Nu rose tête ombrée : je me récitais ces titres comme les vers d'un poème qui me promettait son érotisme clair, sa limpidité classique. » Du bain d'où émerge Marthe, du miroitement affolant des couleurs, s'élaborent des pensées qui cherchent à comprendre et à embrasser le « feu » nourri par chaque toile pour en rejoindre la source.
Interrogeant cette emprise, cherchant à situer le lieu du désir dans des bouquets de couleurs, à en identifier la puissance, celle-ci se découvre non comme l'appétit d'un « oeil en rut » mais comme la « provision d'étincelles » qui comble en nous « une soif de lumière ».
Chez Bonnard, nulle appropriation du modèle pour en faire le jouet de l'éros, au contraire : ce don ultime qui est celui de l'amour. Et lorsque l'écriture suit cette courbe flamboyante au coeur des métamorphoses, alors le geste pictural se poursuit, le récit devient celui de la peinture elle-même : « Les instants ont trouvé leurs couleurs, et notre regard, en prenant la suite de Bonnard, les rafraîchit. Nous continuons la peinture en écrivant sur elle. » -
Suivre les nuages le pinceau à la main
Eugène Boudin, Laurent Manoeuvre
- L'Atelier Contemporain
- 18 Avril 2025
- 9782850351860
Admiré par Monet pour lequel il fut un maître, jouant un rôle majeur sur la pratique picturale de ceux que l'on appellera les « Impressionnistes », le « roi des ciels », selon le mot de Corot, se situe à un tournant de l'histoire de l'art. Cet ouvrage rassemble de nombreuses lettres d'Eugène Boudin (1824-1898) à son ami Ferdinand Martin, interlocuteur privilégié proche des collectionneurs, ainsi que certains de ses échanges avec les artistes de son entourage, qui permettent d'élargir la vision intériorisée d'une époque en pleine mutation où circulent les noms prestigieux de Monet, Courbet et bien d'autres. Cette somme épistolaire correspond à une sélection chronologique amenant à mieux comprendre les enjeux et des difficultés d'une nouvelle ère de la peinture.
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Dits & entretiens de Bram van Velde : précédés par Le palimpseste et le commencement par Jérôme Thélot
Bram Van Velde, Jérôme Thélot
- L'Atelier Contemporain
- 18 Avril 2025
- 9782850351839
Les Dits & entretiens, ici rassemblés pour la première fois, donnent à lire les propos tenus par Bram van Velde (1895-1981) à des amis, à des critiques, à toute personne qui a pu s'entretenir avec lui ou noter un fragment de sa conversation, tels qu'on peut les retrouver imprimés dans des journaux anciens, des comptes rendus d'exposition, des articles ou des études, ou enregistrés dans des films. L'ensemble réalise le voeu jadis formulé par Rainer Michael Mason: «Il serait incontestablement utile de collationner et de publier un jour l'intégralité des assertions de l'artiste.»
On sait que c'est sur le fond de son inaptitude au discours et de sa pudeur intransigeante que de Bram van Velde a prononcé des phrases étonnantes, parmi les plus inpirées qui aient jamais été dites sur la peinture. Voici encore le témoignage de Mason: «Parce qu'elles ne sont pas préméditées, ses paroles constituent dans l'urgence simple, presque naïve, d'une sincérité totale les plus justes considérations sur le travail du peintre.»
Cet ensemble de propos de Bram van Velde est précédé d'un essai de Jérôme Thélotqui ne vise pas à résoudre une énigme, mais à la poser. Il ne s'agit pas d'apprivoiser Bram van Velde ni de rendre usuelle et maniable sa figure d'étranger radical - au contraire il s'agit de restituer son irréductibilité, son impossibilité presque, d'une autre essence que nos domesticités. Les analyses de cet essai, toutes étayées sur les rares propos du peintre, élucident les conditions et les motifs ayant déterminé l'oeuvre énigmatique de Bram van Velde - pour autant que ce mot d'«oeuvre» lui convient -, les raisons qui en justifient l'aventure, et la pensé sensible qui s'y convie. -
Une histoire de l'art d'après Auschwitz. : Volume 3. Configurations
Paul Bernard-Nouraud
- L'Atelier Contemporain
- 4 Avril 2025
- 9782850351785
Le troisième tome d'Une histoire de l'art d'après Auschwitz s'efforce de montrer comment et par quelles voies les figures disparues ont pénétré nos imaginaires collectifs et remis en cause les fondements théoriques de la figuration elle-même.
Ces configurations se caractérisent par des oeuvres qu'on qualifie en premier lieu de mémorieuses, c'est-à-dire qui entretiennent avec la mémoire de l'événement un rapport qui peut être indirect sans être oublieux pour autant. L'enjeu de ce chapitre premier est de rappeler que « d'après » ne signifie pas que les oeuvres issues d'Auschwitz soient rivées à l'événement, mais au contraire qu'elles en dérivent jusqu'à se configurer avec d'autres événements (par exemple la Guerre d'Algérie) ou d'autres situations qui peuvent être internes à l'histoire de l'art (l'avènement de la performance, de l'installation, etc.).
Il n'en demeure pas moins que les oeuvres d'après Auschwitz provoquent une série de clivages à l'intérieur des modalités traditionnelles de la configuration artistique. Le chapitre 2 en examine successivement trois manifestations : 1° ces oeuvres obéissent à une logique de trace et non plus de tracé ; 2° elles font appel à un mode de figuration allusif qui les distingue du registre allégorique traditionnel ; 3° elles substituent à la figure générique de la métaphore celle de l'hypotypose.
Ces clivages renouvèlent par conséquent profondément les structures de configuration des imaginaires collectifs. En consacrant ce troisième et dernier chapitre à ces sujets, on cherche à faire travailler cette apparente contradiction qui fait que l'art contemporain se souvient en réalité, dans ses formes mêmes, de ce qu'il a oublié thématiquement, c'est-à-dire d'Auschwitz. L'hypothèse que l'on formule est que ce phénomène démontre à la fois la prégnance de l'événement et ses modalités de diffusion. La notion qui permet de rendre compte de cet oubli souvenu structurant est celle de l'habitus, telle qu'elle a été théorisée en histoire de l'art puis en sociologie. C'est sous ce rapport aux habitus visuels que se conclut Une histoire de l'art d'après Auschwitz. -
La mort dans tous ses états : Modernité et esthétique des Danses macabres, 1785-1966
Vincent Wackenheim
- L'Atelier Contemporain
- Histoire De L'Art
- 14 Février 2025
- 9782850351679
Rassemblant 102 Danses macabres modernes et plus de 1000 images commentées, ainsi que 13 focus thématiques, l'ouvrage de Vincent Wackenheim témoigne de la vitalité et de la pérennité d'une forme graphique ancienne que de nombreux artistes, de toutes nationalités, revisitèrent dès le XVIIIe siècle. Le fil conducteur est ici de montrer comment ceux-ci, selon les orientations stylistiques de leur temps, ont réinterprété des images iconiques installées dans les imaginaires depuis le XVe siècle, en y intégrant, à partir d'une structure originelle marquée par l'histoire religieuse, des thématiques nouvelles, sociales et politiques, tragiques et burlesques, conséquences aussi des deux guerres mondiales.
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Depuis la fresque du cimetière des Saints-Innocents à Paris (1424), de celle de Bâle (1440) ou des gravures de Holbein (1538), les représentations des Danses des Morts ont été codifiées, atteignant en Europe une forme d'universalité. On y voit des couples composés d'un mort, plus ou moins décharné ou squelettique, et d'un vivant, qui se suivent dans un ordre hiérarchique, du pape à l'ermite, du noble au lansquenet, du colporteur au laboureur.
Le cadre est ainsi fixé, fait d'angoisse et d'une pointe d'ironie à l'encontre des puissants. Car si l'égalité face à la mort est affirmée, l'égalité sur terre fait encore cruellement défaut.
À partir de la fin du XVIIIe siècle, les Danses des Morts vont connaître un étonnant regain d'intérêt, fait d'appropriation, de renouvellement des thèmes et d'une grande distanciation par rapport au Moyen Âge. L'extrême lisibilité du genre, compréhensible par toutes les classes de la société, l'atemporalité de la thématique, sa violence et sa popularité inscrite dans la mémoire collective, font que des artistes en proposent des interprétations hardies, au-delà des références chrétiennes.
Aidé par la large diffusion due aux progrès des techniques d'impression, le tempo des Danses des Morts s'inscrit désormais dans celui de l'Histoire moderne, marquée par les révolutions et les troubles sociaux, la persistance des épidémies et une société en pleine mutation.
Le choc sensible, visuel et tangible de la guerre est tel que le premier conflit de 1914-1918 devient le sujet central d'un très grand nombre de danses macabres, tant en France qu'en Allemagne ou en Angleterre, ainsi que, dans une moindre mesure, la Seconde Guerre mondiale, sans oublier la vision de l'univers concentrationnaire ou les bombardements alliés qui, en février 1945, détruisirent Dresde. On ne s'étonnera pas enfin, dans la situation des années 50 et de la guerre de Corée, de voir les risques d'embrasement nucléaire être pour quelques artistes une source d'angoisse qu'on trouvera traduite dans leurs portfolios.
Si les Danses des Morts présentaient à l'origine une vision somme toute rassurante de la société, leurs déclinaisons modernes placent désormais l'individu seul devant à la mort : pas de familles éplorées, pas de pleureuses, pas de notaires - seulement le face à face. La Mort vient saisir le joueur, le débauché, la coquette, l'avare, à cause de leurs défauts : voilà qui laisse à penser que ceux-là auraient pu, sinon échapper au trépas, du moins en retarder l'échéance en menant une vie réglée.
Chaque Danse des Morts témoigne ainsi des travers d'une époque : les personnages et les situations que croquent Rowlandson, Grandville, Merkel, Barth ou Dyl, révèlent les perversions, les ambitions, les conflits de l'Angleterre du début du XIXe siècle, de la France de 1830, de l'Allemagne du XIXe, de la France des années 20, en privilégiant, à côté de l'extrême violence des planches, la satire, l'ironie et l'humour.
L'éternelle crainte de mourir - et la volonté de s'y bien préparer, donnant prétexte aux innombrables éditions du type De arte bene moriendi, voire à un engouement pour les Vanités - trouvent un prolongement dans ces étonnantes Danses des Morts modernes, présentant comme une parcelle d'éternité le moment qui précède le trépas, quand tout est joué, et qu'il paraît alors vain de vouloir peser sur son destin. -
«?Les oubliées, chaque fois renaissantes?»... Les oubliées, ce sont les herbes, les herbes sauvages des prairies comme les mauvaises herbes des terrains vagues. D'un côté, l'écrivain Gilles Clément cherche à décentrer le regard, à le faire descendre des «?hautes cimes?» pour le porter vers les herbes emmêlées, pour qu'?«?un autre monde vienne à nou? ». D'un autre côté, le photographe Stéphane Spach propose des vues vertigineuses de ces herbes qu'il recueille, brouillant l'échelle de ces troublants buissonnements. Tous deux ensemble renversent l'opposition entre l'infime et l'infini, pour nous laisser pressentir la forêt en dormance sous nos pas, sans cesse menacée, sans cesse renaissante.
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Un sentiment qui tient le mur : notes et propos sur la peinture
Pierre Bonnard
- L'Atelier Contemporain
- Studiolo
- 20 Octobre 2023
- 9782850351303
Pierre Bonnard était un « poète fervent de la
vie brève, un célébrant du passage », comme le
dit Alain Lévêque, dans son introduction à cette
édition des écrits du peintre, réunissant ses notes et les entretiens qu'il donna à la presse. Pages d'agendas allant à l'essentiel en quelques mots, notes de carnets sous forme d'aphorismes dépouillés de grandiloquence, hommages à ses compagnons peintres, comme Maurice Denis, son ami du mouvement nabi, nommé selon le terme arabe qui signifie « ravi dans une extase », mais aussi Odilon Redon, Paul Signac ou Auguste Renoir : sa parole fut autant laconique que prolixe, ouvrant de multiples brèches pour consentir à « la vision brute », pour retrouver « une vision animale ». « Vous avez une petite note de charme, ne la négligez pas. Vous rencontrerez peut-être des peintres plus forts que vous, mais ce don est précieux. » Telles furent les paroles d'Auguste Renoir à Pierre Bonnard, alors jeune peintre inconnu, qui disent bien ce qui, dans la vision, dans les couleurs comme dans les formes, ne s'explique pas : cette « petite note de charme », précieuse, que le peintre n'a cessé de cultiver. Cela s'éclaire un peu, néanmoins, dans la définition que donne Bonnard du « peintre de sentiment », qu'il rêva d'être : « Cet artiste, on l'imagine passant beaucoup de temps à ne rien faire qu'à regarder autour de lui et en lui.
C'est un oiseau rare. » -
L'appareil photographique a été conçu pour produire une image conforme aux normes figuratives issues de la Renaissance. Cette hérédité culturelle le rend en principe inapproprié à l'Art Brut, ce « déchaînement d'ingéniosité et d'innovation » qui fait dérailler les normes esthétiques, selon Jean Dubuffet. Cependant, les « photographes bruts » ont pour particularité de rater leurs clichés chacun à sa manière - et c'est un ratage réussi, qui met en évidence le fonctionnement de ce formatage culturel de nos images et, consécutivement, de notre perception. Ainsi l'« effet de réel », prioritairement imputable à la photographie, peut-il être perturbé par la folie, la maladresse, la perversion, la superstition, la cécité même. Telle est la contre perspective adoptée dans cet ouvrage sur une créativité séculaire, mais généralement anonyme, modeste, si ce n'est clandestine, récemment mise au jour en études photographiques.
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Que peindre sinon l'énigme : écrits, conférences et entretiens
Philip Guston
- L'Atelier Contemporain
- Écrit D'Artistes
- 15 Septembre 2023
- 9782850351075
Il s'agit de la réunion (et de leur première traduction en français) des dialogues, entretiens et écrits de Philip Guston (1913-1980), l'un des peintres modernes les plus aventureux sur le plan intellectuel et les plus doués sur le plan poétique. Tout au long de sa vie, les vastes lectures littéraires et philosophiques de Guston ont approfondi son engagement envers son art, depuis ses premières peintures expressionnistes abstraites jusqu'à ses oeuvres figuratives intenses et granuleuses. Cet ouvrage nous fait entendre la voix de Guston, qui donne une conférence sur la peinture de la Renaissance, ou s'entretient avec des étudiants dans une salle de classe, ou encore discute d'artistes et d'écrivains tels que Piero della Francesca, De Chirico, Picasso, Kafka, Beckett et Gogol.
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Marelle
Julia Peker, Ena Lindenbaur, Jean-Louis Giovannoni
- L'Atelier Contemporain
- 18 Octobre 2024
- 9782850351686
Marelle est un recueil de poèmes cliniques. Psychologue clinicienne et psychanalyste, Julia Peker exerce dans un Centre Médico-Psychologique où elle reçoit des enfants et des adolescents. Chacun des poèmes de ce recueil reprend une consultation menée avec un enfant. Pourtant, l'enjeu n'est pas de restituer un tableau clinique mais de rendre hommage à la singularité de chaque rencontre. Dans sa lecture qui accompagne Marelle, le poète Jean-Louis Giovannoni remarque avec justesse qu'« on ne se fait pas uniquement avec des mots, mais à travers la fréquentation des autres ». C'est dans cette perspective que la poésie devient, pour Julia Peker, « un outil remarquable de soins et de réflexions », c'est-à-dire une puissance d'attention à l'autre autant qu'une puissance d'introspection.
Préface de Jean-Louis Giovannoni
Dessins d'Ena Lindenbaur -
À qui pense qu'on n'a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l'oeuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique?: celui d'une «?ère nucléarisée?», d'un «?champ de ruines à l'approche d'un possible anéantissement?», d'un «?après-paysage?». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir «?dans la noirceur d'autres nuances que pure noirceur?». À l'image de la salle ovale du musée parisien de l'Orangerie où se trouvent les Nymphéas, le récit a une dimension circulaire, non-linéaire. C'est en son milieu que tout commence, alors qu'est racontée une matinée à la fondation Beyeler, dans les faubourgs de Bâle, où l'idée est venue à l'écrivain d'écrire sur le mystère des tourbillons de couleurs peints par Claude Monet. Après quoi, il se rendra au «?sanctuaire?» de l'Orangerie, où son regard finira par se perdre «?dans ce vaste dépôt hors de soi d'un fond de l'être prenant forme dans une matérialité incertaine et floue?», dans un «?gouffre lumineux?», où les repères ordinaires qui apprivoisent le temps et l'espace sont abolis... L'Adieu au paysage relate ainsi un vertige devant le «?paysage imprenable?» des Nymphéas, devant la matière rendue à son essence brumeuse, tourbillonnante, fuyante. Les Nymphéas apparaissent peu à peu à Stéphane Lambert comme la tentative, pour le peintre, d'exprimer une fluidification religieuse de son rapport au monde, sous le signe d'un élément au coeur de l'art de Claude Monet, l'eau, occupant une «?place essentielle [...] dans son oeuvre en devenir?», image même du devenir permanent. Alors, s'immergeant dans la couleur comme on s'immerge dans l'eau, le peintre renoue avec une intimité perdue, divine. «?Oui, le peintre cherchait, et cherchait encore, à traduire ce qui forgeait le monde réel, tapi dans son invisibilité. N'était-ce pas alors une idée de dieu qu'il pourchassait?? Un dieu unificateur et païen, puisqu'on disait le maître athée. Une puissance informelle qu'il voulait démasquer. Les oeuvres opérées jusqu'à ce jour, jusqu'à ce fameux cycle des nymphéas, n'avaient servi qu'à aiguiser son regard pour percer ce mystère qu'il flairait animalement devant lui.?»
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Journal des moments Garache
Nicolas Dufourcq
- L'Atelier Contemporain
- Squiggle
- 14 Février 2025
- 9782850351723
La rencontre entre Nicolas Dufourcq et Claude Garache relèverait de l'anecdote si elle ne constituait pas un remarquable témoignage, intime et vivant, de l'existence et du travail du célèbre peintre des nus rouges. C'est en 2017 que Nicolas Dufourcq, guidé par sa profonde admiration, se décide à contacter Garache. S'en suivront six années d'échanges dans une amitié grandissante, jusqu'à la disparition de l'artiste en 2023. De ces instants partagés avec Claude et Hélène Garache, Nicolas Dufourq tient un journal, enrichi de nombreuses photographies prises sur le vif. Ces empreintes prélevées au fil des jours constituent le précieux document publié aujourd'hui, à la fois hommage à l'homme dans « tout ce qu'il est, gentillesse, respect, délicatesse », et accès privilégié à l'« atelier contemporain » dont il fut l'un des éminents artistes.
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Peindre l'hiver : notes sur la pie de Claude Monet
Gérard Tiitus-Carmel
- L'Atelier Contemporain
- 7 Avril 2023
- 9782850351211
Suivre du regard la lumière déclinante d'un jour d'hiver, prêter attention aux infimes miroitements des couleurs dans l'étendue blanche, trouver les mots pour dire cette «?intuition d'un éternel présent toujours en suspens?», telle est la méthode rêveuse suivie par Gérard Titus-Carmel, pour préciser son émotion devant La Pie de Claude Monet. Contemplant La Pie du peintre de Giverny, qui fut refusée au Salon de 1869, et qui se trouve aujourd'hui au Musée d'Orsay, l'écrivain Gérard Titus-Carmel, également peintre lui-même, se laisse envelopper par son atmosphère ralentie de journée enneigée... Ce tableau devient pour lui «?une allégorie de la lenteur, une secrète entente avec ce fragment de campagne endormie, une trêve, c'est-à-dire un instant de paix à la fois intime et immense suspendu dans la marche du temps.?» Tout se passe comme si la neige tombée suspendait la course folle du monde, et que la peinture aggravait ou prolongeait encore cela. Pour dilater de cette manière notre sentiment du temps, il semble que Claude Monet ait cherché une manière de révéler ce qui est en le voilant. Selon Gérard Titus-Carmel, la présence des êtres et des choses est d'autant plus vive dans sa peinture qu'elle passe par une forme de dissimulation?: «?Le soleil, lui aussi, est tamisé de peinture : dissimulé sous le voile lourd et nacré du ciel, il est là, mais on ne le voit pas.?» Il s'agit de brouiller l'éclat de ce qui est, pour en raviver l'intensité?: «?Car il y a chez [Monet] une propension sinon avouée, en tout cas régulière, pour la brume, le brouillard, la pluie ou la neige, où il cherche à saisir toutes les variations de la lumière qui estompe les contours pour révéler nue la couleur.?» Le regard de Titus-Carmel, vagabondant au sein de l'étendue blanche, finit par se poser sur la discrète présence de l'oiseau solitaire. La pie enseigne, en silence, à aimer l'insaisissable, l'éphémère, le miracle d'un instant suspendu?: «?Elle devient signe et oracle, il n'y a qu'elle pour alerter le monde qui se terre et se tient coi dans l'attente. Et pour Monet, il s'agit de peindre cette attente dans la crainte que l'intrus ne s'envole, et de saisir le miracle de ce laps de temps où tout semble s'ajointer dans la même urgence. Car le monde est éphémère, pense le peintre, je n'ai que le temps d'en saisir la lumière ; il est avant tout espace, semble rétorquer l'oiseau, avant de s'échapper hors du tableau.?» L'écrivain libère l'oiseau du cadre, comme il libère la peinture de ses dorures, pour la rendre au sentiment de brièveté, de fugitivité, de précarité d'où elle provient.
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Je ne sais pas c'qui m'quoi : Enquête sur une expérience esthétique avec Bernard Réquichot
Eric Méchoulan
- L'Atelier Contemporain
- 18 Avril 2025
- 9782850351853
Quelle est cette émotion esthétique particulière qu'engendre l'oeuvre de Bernard Réquichot ? Pour en creuser toutes les dimensions, cet ouvrage analyse les dessins, les peintures, les collages et les reliquaires autant que les écrits laissés par l'artiste.
Roland Barthes l'avait noté : « Réquichot conçut son oeuvre, son travail comme une expérience, un risque ("Il faut peindre, non pas pour faire une oeuvre, mais pour voir jusqu'où une oeuvre peut aller"). » On doit donc le suivre à la trace dans toutes ses expérimentations, à commencer justement par celles sur les traces graphiques ou sur ces machines à capture temporelle que sont les reliquaires.
Ce qui apparaît alors est un artiste qui pense avec ses mains, dont les spirales faustiennes sont des « émotions expérimentales » comme il le disait. Un artiste ni figuratif ni abstrait, dont les oeuvres, où les lignes inattendues ne cessent de vibrer, activent chez celui ou celle qui regarde des reconnaissances de formes végétales ou animales : des présences chargées de mystère.
Il réouvre ainsi, dans l'espace de la pensée, les vertus anciennes de l'analogie que la philosophie moderne a répudiées. En faisant de ses tableaux des « écritures », peut-être illisibles, il révèle combien l'écrit ne tient pas seulement aux signes qu'il distribue, mais aussi à l'échelle des pages, au support du papier, aux rythmes des graphismes, aux modulations des lignes, bref à des ambiances du sens, dont une phrase agrammaticale indique l'énigmatique puissance : « je ne sais pas c'qui m'quoi ». -
Monde minime est le résultat d'une quête poétique et éthique exigeante, d'un effort de parole affrontant ce « mur / contre quoi s'é- / crase l'apparu, le / surgi » : une poésie serrée, crue, lucide, fruit d'une patiente maturation portée par Romain Frezzato.
Monde minime se compose de quatre mouvements dont les titres manifestent d'emblée une recherche de concision et un travail sonore propre à traduire le redoublement incessant du « tam-tam du non tu » : « Exit l'exact », « Totem tendre », « Monde minime », « Bruit bas ». Ce jeu de tambours forme la basse continue de cette poésie, la marque d'une musicalité singulière où les mots sont rendus à leur étrangeté primordiale, donnant à sentir puissamment leur matérialité et leur signifiance latentes. La tension vers ce « lieu dense où / éclot l'être », vers cette « masse extime / de tout », apparaît comme l'occasion pour une parole de renaître, une parole qui ne serait plus soumise à la grille des significations et des normes ordinaires : parole musicale, hermétique certes, mais émancipée. La rigoureuse simplicité que pratique Romain Frezzato est finalement une manière d'accueillir la complexité du monde tapie sous son apparence de « monde minime ».
Les Deux Mains dans la langue, l'autre série de poèmes qui compose l'ouvrage, prolonge l'effort de Romain Frezzato pour rendre la langue impure et plus juste. On le suit dans ses « murmurations », dans son élaboration d'un « lent sabir du bas », d'une expression nouvelle qui serait fidèle à notre complexion intime et extime. Ses tournures sinueuses, intransigeante envers une certaine morale bourgeoise, évoquent la prose poétique de Jean Genet qu'il a lu avec attention. Mais sa poésie s'inscrit peut-être plus encore sous le signe de l'oeuvre de Cédric Demangeot, poète des sombres temps et de la révolte viscérale, dont il emprunte en exergue ce qui ressemble à une devise : « Je ne parle jamais / que pour mendier / ce qui m'excède. » La tâche éthique est ainsi de consentir à ce qui nous excède, de se laisser glisser dans « l'écart entre les silhouettes », là « où tout vivre clignote ». -
C'est une Odyssée, mais sans point de départ ni d'arrivée. Zigzags aléatoires, de Pétersbourg à Zanzibar en passant par Bresk ou Brighton, mais assez précisément retracés pour qu'un géographe, même amateur, puisse en suivre l'itinéraire. Trains ou ferries, cacochymes guimbardes ou rutilantes petites reines, notre Ulysse moderne affronte sans ciller tsunamis, crues ou éruptions, effrontées sirènes ou vierges effarouchées, tant qu'il ne reste pas échoué sans un sou et le ventre vide. Car ce va-nu-pieds n'a rien d'un pur esprit, ni encore moins d'un esprit chagrin. Il ne se déplace pas non plus sans raison, car en perpétuelle quête de son Éden natal (un manoir breton figé sur sa presqu'île), même si la raison et l'orientation lui échappent parfois au hasard des fêtes, rencontres et autres malencontreux coups de foudre. Les voyages forment la jeunesse? Ici, ils déformeraient plutôt la vieillesse. Retraite paisible? Ses patrons en ont décidé autrement. Distants ectoplasmes, ils l'expédient au diable vauvert traverser Méditerranée, Manche et mer du Nord ou d'extrême nord, cornaquer colonies de vacances ou orchestres récalcitrants - quitte à affronter ours, lions ou éléphants abandonnés par leurs cirques et déboussolés par le réchauffement climatique. Notre vieux fils prodigue (il a honteusement dilapidé l'héritage légué par ses parents) a-t-il seulement un nom en propre? Ou bien n'aurait-il pas emprunté celui même du narrateur, que tout un chacun s'obstine à écorcher? De cette identité fragile, notre alter ego tire prétexte à un fragmentaire, méticuleux travail de mémoire. Le dialogue entretenu avec les morts, quoique souvent égayé par un comique franchement noir ou diablement facétieux, alimente ce récit-fleuve, plus réel que nature, qui déborde toutes les frontières répertoriées, qu'elles soient diurnes ou nocturnes. En remontent aux sources du rêve et de la mémoire, Bruno Krebs en ravive somptueusement les paysages et les blessures.
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Le bestiaire Tome 3 : de Marcel Broodthaers, poèmes 1960-1963
Marcel Broodthaers
- L'Atelier Contemporain
- 15 Mars 2024
- 9782850351433
Dans Le Bestiaire de Marcel Broodthaers,
figure majeure de l'art post-duchampien dont
on célébrera le centenaire en 2024, un réseau
secret de correspondances relie les animaux
réels ou imaginaires qu'on croise au fil des
pages: l'abîme, l'agneau, l'aigle, l'alcoolique,
le banquier, le boeuf, l'huile et le vinaigre, la
mer, le rhinocéros... Leur seule énumération
communique déjà une joie venue de l'enfance,
joie de semer le désordre dans les catégories
ordinaires. -
Écrire, photographier : deux façons de se tenir au bord du monde. C'est ce bord, immémorial et intime, que le photographe Alain Willaume arpente, dont il relève obstinément les traces et fait retentir l'écho. Et c'est là que l'accompagne, par moments, depuis plus de trente ans le poète Gérard Haller. Face's End est né de cette compagnie à éclipses, éphémère et fidèle. Livre à deux cette fois - deux écoutes, deux regards. Mais, d'un phrasé sur image à l'autre, un seul et même poème. Un film au ralenti. Le temps devant chaque image de la laisser entrer en résonance et s'ouvrir, se diffracter, nous exposer ainsi au fond sans fond ni figure de notre commune mémoire.
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Ce qui est arrivé par la peinture : textes et entretiens, 1953-2006
Jérôme Duwa, Simon Hantai
- L'Atelier Contemporain
- Écrit D'Artistes
- 18 Février 2022
- 9782850350627
Le terme « réexamen » apparaît dans une formulation de Simon Hantaï au sujet de son tableau A Galla Placidia des années 1958-1959 : il écrit exactement « réexamen rétrospectif de 10 ans de travail ». En considérant l'ensemble des textes et entretiens de ce recueil, ce mot semble à la fois approprié pour désigner ce que ce livre entend offrir au lecteur - l'occasion d'un réexamen de ce qu'un peintre a écrit et dit conjointement à ce qu'il a peint - et adéquat à ce que Simon Hantaï lui-même a incarné au cours de son existence : une résolution à se réexaminer sans trêve et quelles qu'en soient les conséquences. Il s'agit non seulement pour lui de considérer telle réalité - par exemple la peinture - avec une attention toute particulière qui conduit à ne jamais s'en satisfaire mais, en outre, d'être habité par une incertitude qui motive ce réexamen proprement interminable.
Les textes et entretiens réunis ci-après, nous permettent de suivre et sans doute de mieux comprendre ce qui se passe avec les peintures que Simon Hantaï met en circulation depuis qu'il s'est exilé à Paris à partir de septembre 1948 et qu'il entre ensuite en contact avec André Breton et les surréalistes.
Par comprendre la peinture de Simon Hantaï, il ne faut naturellement pas entendre que les diverses déclarations qui suivent et qui courent sur cinquante années vont rendre les gestes de ce peintre transparents ou évidents. Il ne tenait pas à ce qu'ils le soient pour lui-même. Celui qui va revendiquer le pliage comme « méthode » à compter de 1960 entend rompre avec l'ancienne logique picturale et recommencer une activité apparemment plus simple en pliant des toiles.
Hantaï suit sa méthode du pliage pour découvrir du nouveau, plutôt que des variations d'un imaginaire qu'il estime éculé.
« Je ne veux pas une réponse qui m'assure quelque chose, je ne veux justement aucune réponse, je veux l'absolu non-réponse, c'est-à-dire l'infini. » À la lecture de ces textes et entretiens, on entrera mieux dans une pensée de la peinture ayant permis la mise à jour de la conscience du peintre lui-même , ce qui ne garantit pas pour autant qu'on saura mieux regarder cette peinture.
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Le XXe siècle est sans aucun doute le siècle des femmes. En l'espace d'une petite centaine d'années le statut social et juridique de ces dernières a connu une révolution inimaginable. Droit de vote, droit d'inscription à l'université, droit d'exercer une activité professionnelle sans le consentement de son mari, droit de gérer son compte bancaire, contraception, autorité parentale conjointe, avortement, la liberté a saisi la «?seconde?» part de l'humanité dans toutes ses composantes. À travers le récit d'une lignée familiale, trois générations de femmes parcourent ces décennies décisives. D'un petit village des Landes où les jours de labeur s'égrènent entre courage et résignation, Marie et Emilienne accomplissent leur vie, tout est là depuis toujours et pourtant frémit le grand bouleversement, l'aspiration à autre chose que ce qui semble écrit. Dans un temps où les soubresauts de l'Histoire signifient encore qu'il y a plus grand que soi, ou Dieu demeure aimé ou craint, il n'y a pas de place pour organiser le bonheur de chacun, pas encore. L'ère des trente glorieuses s'ouvre avec la fin de la deuxième grande guerre. Les filles et petites-filles d'Émilienne quitteront le monde que l'on avait cru immuable pour se lancer à corps perdu dans une modernité qui dévorera tout. Colette et Nathalie seront les témoins actifs et consentants de la révolution en marche qui aura l'inestimable avantage de leur offrir une liberté sans reste, croient-elles. Mais ce chemin légitime vers l'émancipation ne se révèle-t-il pas moins évident que prévu?? La mise sous tutelle des femmes, autrefois inscrite au coeur du Code civil a peut-être laissé place à une servitude plus subtile et plus radicale. Née au milieu du siècle, Colette est la figure centrale du basculement, elle est la pionnière de ce nouveau monde où tout semble désormais possible. Fière du chemin parcouru, elle approuve sans sourciller l'idée que l'indépendance témoigne de toute vie réussie sans voir son corolaire?: pour le plus grand bonheur du marché, l'affirmation de soi et de ses désirs deviennent le credo des temps modernes. Nathalie, qui achève la lignée, l'expérimentera plus que tout autre, jusqu'à l'absurde.
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Les agendas que le peintre Pierre Bonnard tint toute sa vie durant ne sont pas simplement constitués de dessins et d'informations sur le temps qu'il fait ; on y trouve aussi de très nombreuses notes sur sa peinture, la création et ses enjeux.
Ces « observations sur la peinture », semées ici comme des notes entre les lignes, confirment l'impression de se trouver dans un sanctuaire de la création. Elles trahissent les hantises de l'artiste, son inlassable recherche des moyens les plus appropriés pour traduire son émotion visuelle, cette « séduction ou idée première » à quoi tout désormais devra être soumis.
Aucune volonté de didactisme dans ces notes ; aucune règle énoncée qui ne vaille que pour soi-même. Rien de strictement « intellectuel ». Et, cependant, avec l'amour de la vie, toute l'intelligence de la peinture.
Pour la première fois sont réunis l'ensemble des notes d'un des peintres les plus importants de notre siècle, retranscrites par le petit-neveu de l'artiste, Antoine Terrasse, historien de l'art et l'un des plus grands spécialistes de Bonnard.
Cette édition est précédée d'un essai d'Alain Lévêque (auteur de Bonnard, la main légère, Deyrolle éditeur, 1994, repris aux éditions Verdier, 2006), et illustrée de la reproduction d'une dizaine de doubles pages de ces carnets (1927-1946), représentatives des différentes voies empruntées par l'artiste dans ces carnets.
« Il ne faut pas attendre du peintre un essai sur son art, il ne laissera au fil d'une pensée en acte pas plus que des indications, des courtes notes, des mots à peine, comme une ponctuation. (...) Ce qu'il confie à ses carnets, entre les notations météorologiques et les croquis de ciconstance, les petites études quotidiennes laissant apercevoir les tableaux à venir, paraît d'abord anodin, anecdotique, énigmatique parfois par les ellipses que dessine le travail luimême.
Les mots sont à ras l'expérience, sans volonté littéraire, effet de style. Simples, dans le seul souci du vrai : des observations. (...) Dans leur brièveté, leur discontinuité, les remarques de Bonnard ont quelque chose d'une pensée orientale. (...) L'espèce de litanie que dessine cette liste d'observations évoque ces poèmes chinois à l'articulation libre où ce n'est pas la grammaire qui lie les mots mais le jeu des connivences, des échos, des résonnances. (...) Désinvolture apparente ou liberté qui font que le peintre échappe au discours et à son enclosure pour témoigner par une observation serrée des mouvements de pensée, du métier, nous invitant après lui comme sur un pas japonais. »
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Piero Di Cosimo ou la forêt sacrilège
Alain Jouffroy
- L'Atelier Contemporain
- 14 Mai 2021
- 9782850350429
« Avec Piero di Cosimo, l'incroyable est arrivé : grâce à Vasari, qui fut le premier et le dernier à le célébrer au XVIe siècle, les chercheurs et les historiens du XIXe et du XXe siècle ont tenté de reconstituer ce qui est resté de son oeuvre dispersée et que l'on attribuait souvent à d'autres peintres. L'énigme a resurgi, mutilée mais impressionnante par sa singularité : les surréalistes ne s'y trompèrent pas, qui furent les premiers à lui rendre hommage. »
C'est dans cette lignée qu'il faut replacer l'essai d'Alain Jouffroy, premier livre français consacré à Piero di Cosimo, paru d'abord en 1982 dans la collection L'Atelier du merveilleux de Robert Laffont, où des écrivains de renom célébraient des artistes rares. Aussi ancienne, sinueuse et fragmentée que l'oeuvre aujourd'hui attribuée au peintre florentin, cette généalogie n'encombre pourtant pas Alain Jouffroy. Abreuvé aux recherches des érudits, celui-ci fait le choix de la subjectivité : « Je pleure, je ris, je veille et je suis sourd aux appels d'un homme extraordinairement ex-centrique, qui a situé le centre de tout hors de tous les cercles où pourrait subsister ce qu'on appelle un "centre". »
C'est de fait son oeuvre profane et mythologique qui intéresse Jouffroy, au détriment d'une oeuvre religieuse dans laquelle il décèle une concession du contemporain des Médicis et de Savonarole « à la malveillance du pouvoir des princes et à la surveillance de l'Inquisition ». Ce n'est pas pour rien qu'il dédie son livre André Breton, défenseur des « briseurs de barrières » et auteur avec Gérard Legrand de L'Art magique : « Piero di Cosimo, affirme-t-il, n'a pas peint ces tableaux pour nous rassurer, mais pour dialoguer avec nous dans un autre langage que celui de la raison : un langage plus exact que celui des mots, où l'ordre que nous croyons par notre pensée introduire dans le chaos du monde est entièrement remis en cause, mais en douceur. »
Vénus, Mars et amours, La Mort de Procris, La Chute de Vulcain ou Hylas et les Naïades, Vulcain et Éole, Combat des Centaures et des Lapithes, Persée libérant Andromède... : autant de tableaux qui doivent leur titre à l'iconologie et que Jouffroy scrute à frais nouveaux, avec passion autant qu'avec prudence, pour finalement y déchiffrer « un probable mouvement d'opposition clandestin aux dogmes de la philosophie néo-platonicienne à la mode, comme aux pouvoirs religieux et civils de l'époque », l'oeuvre d'un « nostalgique du triomphe sur l'impossible, qui aurait trouvé le moyen de s'exiler dans sa propre cité ». Toiles longues et basses d'où le ciel de la transcendance est presque absent ; scènes de chasse, de combats et d'amours sensuelles et meurtrières célébrant l'existence terrestre ; rêveries d'un homme que Jouffroy présente à la suite de Vasari comme un demi-ermite pour qui la peinture fut le moyen de penser à l'écart. -
Zone perdue surprend d'abord par l'originalité de sa forme?; celle-ci ne cesse de se déplacer et de promener le lecteur entre différents registres?: poèmes-archive, poèmes-anecdote, poèmes-portrait... Ce qui traverse cette épopée en petit d'une rue banale d'un quartier populaire de Paris, c'est bien sûr, beaucoup, l'intime, l'histoire avec son petit «?h?», celle des anonymes, des figurants et du narrateur auquel le lecteur s'identifie - le bruissement de ces vies, la ville qu'elles dessinent en creux, affleure et s'impose comme forme.
Les changements des registres entre les séquences du livre révèlent la matière volontairement composite dont il est construit. Les séquences font comme des petits mondes apparemment homogènes, assez définis dans leurs contours mais dissemblables. En avançant dans la lecture, on s'aperçoit des porosités d'un monde à l'autre?: bien sûr, le poème est tissé d'histoires, et sans cesse la poésie s'invite dans l'archive - mais c'est toute la vie et une expérience physique, émotionnelle et mémorielle, que permet de raconter ce dispositif poétique.