Octobre 2019. Au Liban, au Chili, en France, plusieurs manifestants et insurgés étaient grimés en clowns, reprenant le maquillage du Joker dans le film éponyme de Todd Phillips. Comment diable le fameux criminel fou de la fiction peut-il devenir l'emblème des insurrections contemporaines ? Le film a été plébiscité pour son « réalisme social ». Or, cette interprétation repose en partie sur une erreur. Si ces manifestants sont fidèles au Joker, ce n'est pas simplement en se maquillant et en occupant les rues ; c'est en se produisant eux-mêmes en tant qu'images, - en photographiant, en filmant, en diffusant en réseau cette insurrection. Elle est beaucoup plus une insurrection par les signes, immatérielle et iconomique, qu'un soulèvement spontané du « peuple » ou de la « plèbe ».
Il est souvent dit que la pensée du Joker ne se situe pas sur le plan de la pensée normale, qu'il a une logique autre, et que personne ne peut parvenir à le comprendre. Le postulat de ce livre est qu'il existe une logique du Joker. De manière générale, la folie est éminemment politique ; pour connaître la réalité d'une époque, il suffit de choisir soigneusement le fou qui pourra nous la révéler, et de lui prêter l'oreille. La réalité contemporaine est régie par la logique du Joker. Comprendre la folie du Joker, c'est nous comprendre nous-mêmes.
Cet essai n'est pas un essai sur le cinéma, mais un essai sémiopolitique, sur le rapport entre le signe et son objet, sur le rôle des images dans la production de la réalité sociale. L'entrée du Joker en politique marque l'An Un de ce qu'il faudra appeler l'ère de l'iconomorphose.
Le Livre dont Jean Baudrillard est le héros répond à un double enjeu. Il est d'abord conçu comme une porte d'entrée vers la pensée de cet auteur inclassable et souvent mécompris dans le monde francophone. L'ouvrage répond au défi suivant : comment peut-on concevoir une initiation à la pensée de Jean Baudrillard, sans passer par le commentaire universitaire, l'exégète classique ou la glose herméneutique ? Comment détourner le savoir totémique des universitaires, qu'il disait lui-même honnir, tout en permettant aux lecteurs et aux curieux de s'approprier sa pensée et ses concepts en douceur ?
L'ouvrage reprend le format bien connu des « Livres dont vous êtes le héros », ou fictions interactives qui ont connu un certain succès éditorial notamment auprès des jeunes public, il organise donc une fiction interactive autour de cet auteur en mêlant le biographique au philosophique, l'intime au conceptuel, le propédeutique au burlesque.
Trois grandes voies narratives s'entremêlent. D'abord, une première voie permet de naviguer dans la vie de Jean Baudrillard - une vie plus ou moins fictionnalisée, dans la plus pure tradition baudrillardienne. Cette voie mobilise des sources inédites de et sur l'auteur (correspondance privée avec ses parents, archives de l'IMEC, photographies personnelles, etc.) Des éléments parfois très ordinaires sont mobilisés pour dire sa pensée. Ensuite, un double fictionnel organise une voie en contrepoint (la question du double hante l'oeuvre de Baudrillard). Ce personnage est marqué par une absence de destin, des péripéties de l'ennui et de la médiocrité. Une troisième voie narrative est plus théorique, abstraite et conceptuelle. Elle permet de se balader dans son oeuvre, en sillonnant de citations en citations, sa philosophie ainsi mise en intrigue. Au final, cette première partie permet à la fois au lecteur de « jouer » à suivre et incarner la vie et la pensée de Baudrillard, tout comme elle peut être parcourue dans un ordre aléatoire.
La seconde partie du livre intitulée « Morale de la Traverse » se veut réflexive et théorique, elle pose la question suivante : comment vivre sa vie avec la pensée de Jean Baudrillard, en tant que « mode d'emploi » de la vie. En quoi la spécificité de cette pensée peut être envisagée sous un angle moraliste, voire acquérir une dimension ésotérique qui ramène du hasard dans le destin ? Et comment cette dernière permet une lecture du monde au quotidien : comment traverse-t-on une existence avec le système de pensée de Baudrillard et son renversement perpétuel que nous proposons de nommer la Traverse ? On y parle autant de l'homme-dé, d'un guide de survie à l'attaque d'un ours, de la fin du recoin, du détournement médiatique, du simulacre de la nostalgie et du monde qui va se venger de nous.
Avec une préface d'Edgar Morin.
Grip est un récit qui se tisse autour de trois écuries de Formule 1, Mercedes, McLaren, Red Bull, et de leurs pilotes. Ces pilotes n'ont pas de nom, ce ne sont pas des hommes, mais certains de leurs traits sont masculins. Ce choix ne vise pas à féminiser dans l'écriture de fiction un domaine sportif encore majoritairement masculin, mais plutôt à manipuler les caractéristiques physiques et psychologiques attribuées à la virilité à travers des personnages, des situations et des descriptions. Ces pilotes ont été pensées comme des assemblages entre plusieurs pilotes actuel.les et historiques : Lewis Hamilton, Max Verstappen, Ayrton Senna, Michèle Mouton (pilote de rallye), Nigel Mansell, Alain Prost, Tatiana Calderon. À travers la F1, il s'agissait de retrouver le récit sportif, ses séries successives d'échecs, de succès, de rédemptions, de styles contrariés qu'Elsa Boyer avait déjà eu l'occasion d'explorer dans Mister du côté d'un entraîneur de football. Mais cette fois le point de vue est plus diffracté, il ne concerne pas seulement le pilote et s'articule plutôt autour de la voiture comme pivot autour duquel faire coexister les dimensions technique, humaine, psychologique et financière de la Formule 1. Grip cherche à faire tenir ensemble dans le texte les différents acteurs qui participent à une course de Formule 1, aussi bien les pilotes, les véhicules que les team manager, les mécaniciens et les ingénieurs.
La technicité de la F1 était aussi une façon de renouveler le travail d'écriture et son rythme. Les ajustements constants entre le pilote et la voiture, l'association entre le groupe propulseur et le châssis, les modifications aérodynamiques imposées par le règlement, les défaillances mécaniques, le vocabulaire technique, le trio que composent le véhicule, le pilote et l'équipe sont la matrice principale à partir de laquelle expérimenter la façon de construire les personnages, le récit mais aussi la structure des phrases. Les logiques mécaniques, le vocabulaire de la ligne et de la trajectoire sont autant de manières d'écrire les émotions en les mêlant aussi bien aux états corporels qu'aux matériaux des véhicules et du circuit. En ce sens, Grip se situe entre les muqueuses et la fibre de carbone.
Le jazz, qui apparaît comme un phénomène esthétique majeur du xxe siècle, a pourtant été délaissé par la philosophie qui en a été contemporaine. Ce désamour de la philosophie à l'égard du jazz se mesure à deux niveaux : d'une part à la rareté des écrits philosophiques qui lui sont consacrés, d'autre part à la dureté du traitement qui lui a été généralement réservé. Mais alors, quel sens donner à ce silence «philo-phonique» à propos du jazz ? Pourquoi les philosophes contemporains du siècle du jazz ne se sont-ils jamais véritablement intéressés à sa dimension esthétique ? Et pourquoi n'ont-ils pas davantage porté attention à ses revendications politiques, alors même que celles-ci ont donné lieu à de vifs débats dans les années 1960-1970 ? L'objectif de cet essai ne consiste pas à exposer des éléments conceptuels sur lesquels on pourrait faire reposer une philosophie du jazz, mais plutôt à faire émerger le sens philosophique de ce « rendez-vous manqué » entre le jazz et la philosophie. La philosophie, face au jazz, semble devoir se confronter à ce qui lui échappe : l'ampleur des processus de dénégation mis en place par certains auteurs pour ne pas le prendre en considération semble témoigner du fait que le jazz résiste bel et bien à son appréhension philosophique. Si la philosophie a bien eu du mal à tenir le jazz en respect, si ce dernier lui a opposé avec bruit et fracas un obstacle théorique l'ayant conduit à une «sortie de route», alors le diagnostic de cet échec ne nous laisse pas sans rien. Il invite la philosophie (les philosophes) à comprendre les motifs de son mutisme, à débusquer ses craintes et ses préjugés, à repenser, un à un, ses concepts traditionnels - et par là même à réinterroger le sens même du geste de l'esthétique, lorsqu'il s'agit pour elle de penser la musique.
Écologie, communauté et style de vie, expose, par son fondateur, les grands principes et leurs dérivations de « l'écologie profonde » : un système éthique cohérent de type spinoziste - l'Écosophy T - où la valeur des choses est jugée indépendante de leur utilité. Dans un énoncé d'une grande précision sémantique, Arne Næss met en relief l'incapacité de toutes les grandes philosophies à penser la nature de manière conséquente.
Contre les conceptions purement objectives, subjectives ou phénoménales de la réalité, il propose une lecture relationnelle et gestaltiste du monde traduisible dans le langage de la logique symbolique. Contre l'illusion du fondationalisme moral qui ne reconnaît jamais ses préjugés, Næss exprime en toute clarté les normes fondamentales et révisables de son système dont il conçoit la plus haute sous le nom de « réalisation du Moi ! ». Sous ce terme laissé volontairement vague, Næss entend l'activité - et non l'état - où les besoins et les désirs individuels s'accordent avec la reconnaissance du caractère fondamental de toute vie. En prônant ainsi l'enrichissement maximal pour tous - ce qui ne saurait toutefois être possible sans un rééquilibrer le concept de richesse vers un contenu plus émotionnel - Næss démontre l'antiascétisme de l'écologie profonde. Le spiritualisme auquel on la réduit trop souvent se trouve, lui aussi, contredit au profit d'une confrontation directe des normes de l'Écosophy T avec les politiques économiques et sociales, et l'organisation des politiques Vertes. Déjà traduit en cinq langues, cet ouvrage fondateur, qui propose pour la réflexion écologiste en France des bases métaphysiques qu'elle attend encore, n'a rien perdu de son actualité et propose une voie pleine de promesses pour échapper à la catastrophe vers laquelle nous continuons de courir.
Écologie communauté et style de vie est le premier ouvrage d'Arne Næss traduit en français.
L'ouvrage Playlist : musique et sexualité est constitué de seize essais autonomes, qui explorent tour à tour la musique dans les pratiques sexuelles, et le sexe dans les pratiques musicales. Il se déploie d'une thématique vers l'autre, comme un texte de sociologie de la musique qui virerait insensiblement au texte de musicologie. Quel est aujourd'hui le rôle de la musique dans la vie sexuelle des personnes, la réelle comme la fantasmée ? Quelles sont les représentations de la sexualité dans les oeuvres musicales, celles du répertoire classique comme celles des genres populaires ? Quelle a été, de l'Antiquité à nos jours, la trajectoire historique de ces imbrications ? Comment cette histoire dialogue-t-elle, dans la période contemporaine, avec le devenir marchand de la musique, et avec sa numérisation ? Comment la musique s'insère-t-elle dans l'histoire sonore de la sexualité, ce territoire méconnu des sound studies ? Quelles conséquences cette enquête peut-elle avoir pour repenser les pouvoirs de la musique ? Telles sont les questions que ce livre se propose d'explorer. Chaque chapitre aborde ce vaste domaine à partir d'une entrée singulière, comme une série de variations sur un thème musical, ou une playlist thématique. Ce choix formel fait écho à la diversité des oeuvres concernées : Don Giovanni de Mozart, Tristan et Isolde de Wagner, Lady Macbeth de Chostakovitch sont ainsi revisités, entre autres classiques, tout comme Je t'aime moi non plus de Gainsbourg, L'importante è finire de Mina, ou Erotica de Madonna, entre autres tubes. Plus récemment, la diffusion sur internet d'une music for sex et les dispositifs de recommandation des plateformes de streaming incitent à revisiter la critique adornienne de l'industrie culturelle, les idées de Guy Debord sur les femmes dans la société du spectacle, ou encore l'enquête sur la sexualité de Pasolini dans son film Comizi d'amore. Le livre se veut ainsi à la fois une enquête empirique et une proposition théorique, qui discute avec la musicologie féministe et les queer studies, avec les sciences cognitives de l'écoute et du plaisir, avec la sociologie de la culture et l'histoire culturelle. En envisageant la musique comme un dispositif technique aux usages diversifiés, de la présence anthropomorphe à la « musique d'ameublement », il esquisse une écologie sonore capable de rendre compte à la fois des logiques du plaisir et de celles de la domination, à commencer par la domination des hommes sur les femmes. Si la musique n'a cessé, au cours de l'histoire, d'énoncer et de faire sentir par les sons l'amour et ses attachements, le désir et ses imaginaires, l'ambition ultime de Playlist est de contribuer à une conception renouvelée des formes temporelles de l'expérience humaine.
Cet essai montre comment la forme romanesque inventée par Virginia Woolf, dont l'enjeu est de restituer la vie sans la déformer en lui imposant des formes artificielles, ainsi que sa réflexion sur l'art, menée dans ses essais et dans ses romans, rencontre sa réflexion politique (développée dans ses essais, ou, métaphoriquement, dans ses romans) : dans tous les cas, l'enjeu est celui de la lutte contre le chaos, ou de la sortie du chaos, ou, plus précisément, de la recherche de manières dont on peut donner des formes au chaos sans que la donation de forme soit ce qui impose de la manière la plus violente le chaos le plus invivable (ce que produit, selon elle, une civilisation reposant sur un Empire colonial et la normalisation des vies). L'enjeu est d'échapper au dilemme entre d'un côté une pluralité irréductible, sans commune mesure, voire la guerre, et, de l'autre côté, un ordre unifié, monolithique, qui s'impose contre les gens, au détriment de leur vie.
Il y a une situation, celle de l'énigme policière traditionnelle, une pièce pourvue d'une porte et d'une fenêtre, un meurtre inexpliqué, et il y a les personnages qui sont les acteurs traditionnels de cette situation : un détective, qui ne porte pas de nom (sa fonction pourvoit à tout), son assistant, l'enthousiaste Silbano, et le brigadier Gutiérrez, qui reste à l'entrée afin que personne ne vienne perturber le travail des enquêteurs. Il y a également, bien entendu, le personnage principal (ou subsidiaire), un cadavre, la justification de toute l'affaire, et qui n'est peut-être pas aussi mort qu'on voudrait le croire (il se permet quelques clins d'oeil au détective, qui ne sait pas trop quoi en penser). Il y a aussi une série d'objets, ceux du détective, qui accompagnent sa fonction (une pipe, une loupe), et d'autres, contondants, qui pourraient être (il le faut bien) les armes du crime. Le décor est donc planté (avec, en point de fuite, à l'extérieur, la ville et la nuit, lourde comme un pesant rideau) et puisque nous assistons à une sorte de théâtre, autant respecter les trois règles classiques de l'unité de temps, de lieu et d'action.
Mais l'enjeu ne sera pas de résoudre l'énigme. Whodunit n'est pas la question, même si les questions sont nombreuses, infinies, dans la tête du détective. La preuve, elles s'enchaînent à un rythme frénétique, qui est moins celui de la pensée elle-même - toujours tronquée - que celle de la perplexité, qui va en s'épaississant. Le mystère, lui, flotte, statique : il est le même du début à la fin. Il piétine. La question est d'explorer exhaustivement le palais mental du détective, plein de cul-de-sac. On observe le courant de conscience de notre fin limier en restant prudemment à la troisième personne. Une réponse en mène à une autre, qui mène à une nouvelle question ou à une nouvelle contradiction.
Nous sommes au théâtre, mais peut-être aussi au concert : différence et répétition, leitmotiv et variation. Un continuum - un seul paragraphe - qui construit la tension et augmente peu à peu la cadence, comme ce courant d'air en provenance de l'unique fenêtre qui finit par se convertir en un tourbillon pour mieux secouer la pièce comme un shaker. La syntaxe, elle, reste impassible : la langue est transparente mais le sens, lui, se fait souvent la malle. Sa recherche incessante, la quête des indices qui en indiquerait l'apparition, est une poursuite de l'unité, une mystique du pauvre. À moins qu'il ne s'agisse simplement de trouver les images de la pensée ou de faire de la pensée un livre d'images. De visualiser la scène.
Analysant la musique, la littérature, et la peinture Afrofuturiste (Sun Ra, P-Funk, Wangechi Mutu), la confrontant aux enjeux contemporains de l'écologie et de la racialisation, ce livre montre comment l'Afrofuturisme peut nous soigner du triple rejet constitutif de l'Anthropocène. Premièrement, le rejet des non-humains, au profit d'un fétichisme de l'Humain qui sous-tend la Sixième extinction de masse des espèces. Deuxièmement, le rejet du cosmos, qui réduit la Terre à un espace confiné, détaché de l'univers. Troisièmement, le rejet de la personne Noire, car l'Anthropocène est un projet qui s'est fondé dans l'esclavage et la colonisation. Ce que nous propose l'Afrofuturisme est une nouvelle image du cosmos, où la Terre serait reliée à la puissance du soleil comme à l'obscurité insondable de l'univers. Si nous voulons éviter l'effondrement écologique auquel l'économie racialisée nous destine, il nous faut une nouvelle révolution copernicienne.
Aribert Reimann est né en 1936 à Berlin. Son oeuvre Lear, reprise à l'opéra de Paris en 2019, en a fait l'un des compositeurs contemporains d'opéra les plus joués depuis 1978. Accompagnateur de grands artistes lyriques - celui préféré de Fischer-Dieskau qui lui souffla l'idée de Lear - conscient des voix, il déplace l'écriture vocale au service de la dramaturgie des textes qui l'obsèdent. Strindberg, Kafka, Maeterlinck, Lorca, Goll, Grillparzer ou Euripide se font chez lui l'écho des traumatismes des tragédies européennes qu'il a traversées, de la seconde guerre mondiale à la guerre froide et ne cessent d'être rattrapés par l'actualité - surveillance, réfugiés, écologie. Chacun de ses opéras lui donne l'occasion de se réinventer à l'aune de nouveaux défis techniques qui en font une figure irréductible à une école : loin d'un arbitraire maniériste, il s'agit avant tout pour lui de savoir ce qu'il y a derrière le son. Conçues comme un portrait, ses conversations dessinent, à travers paroles et gravures, les contours d'une grande figure de la musique allemande de la seconde moitié du XXe siècle et de l'opéra d'aujourd'hui.
Samuel Sighicelli (*1972) est un compositeur en prise directe avec le monde, pleinement connecté à son époque, dont il offre une lecture sonore immédiate. Par son parcours, ses rencontres, sa démarche esthétique et son évolution, il symbolise la création contemporaine dans ce qu'elle a de plus novatrice et dynamique, et incarne une des tendances fortes de notre temps : la transversalité. Ses oeuvres ouvrent en effet des portes entre les arts, les langages et les univers stylistiques, voire entre les milieux de la musique. Son groupe Caravaggio, fondé en 2000, fusionne rock, improvisation et musique contemporaine. Depuis son plus jeune âge, le compositeur a été sensibilisé en famille au monde des images, tout d'abord par un père peintre, Gérard Sighicelli, et par un environnement particulièrement cinéphile. Cette passion pour le cinéma qui l'anime jusqu'à aujourd'hui structure sa pratique du spectacle et sa vision de la musique. Il aime à endosser comme un modèle le rôle du réalisateur pour l'élaboration d'une grande partie de ses oeuvres, mettant en relation de nombreuses spécialités et des talents distincts au coeur d'une fourmilière de compétences artistiques. Ce faisant, il s'intéresse à toutes les facettes, comme les lumières, les costumes ou la scénographie. Pendant sa formation, le jeune étudiant dévore tout, se plongeant dans l'improvisation et l'électroacoustique, deux bases importantes de son travail, mais aussi dans l'initiation à la philosophie et aux structures de la musique indienne, et se nourrit de nombreux styles comme la pop, le rock, le funk, la techno et le hip-hop. Après le récit de ces premières années si déterminantes pour la personnalité artistique du compositeur, La musique en prise directe se penche sur les étapes d'un parcours passionnant, cheminant entre les nombreux mondes sonores qui le constituent. Plusieurs oeuvres-phares sont présentées en détail, exposant toute la diversité de l'univers compositionnel de Samuel Sighicelli.
C'est à l'histoire des inventions sonores au cinéma que nous convie Philippe Langlois, au croisement de la technique, de la musique et du cinéma, dans le sillage des compositeurs et des cinéastes les plus inventifs. Des dispositifs de sonorisation du cinéma muet aux manipulations du son qui découlent de l'usage de la piste optique, de la fiction aux films documentaires, du cinéma d'animation aux films expérimentaux, un champ ténu de convergence s'élabore où se dessine une forme de préhistoire des musiques électroacoustiques. Après les années 1950, les musiques électroacoustiques ne cessent de gagner une place de plus en plus importante jusqu'à se fondre totalement au sein du dispositif cinématographique et irriguer les principaux courants artistiques du cinéma expérimental et du cinéma d'auteur. Une manière totalement neuve d'aborder l'histoire parallèle et underground des musiques électroacoustiques au cinéma à l'issue d'un travail de recherche de plus de dix années.
Où sont les femmes ? Toujours pas là ! » affirme régulièrement la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (sacd). Cette inégalité entre les hommes et les femmes dans le spectacle vivant est aujourd'hui injustifiable. À la Renaissance, on pouvait compter sur les doigts d'une main le nombre de compositrices. Aujourd'hui, certes, elles sont plus nombreuses, mais elles restent encore très minoritaires ; ainsi en France, elles ne représentent que 10 % des compositeurs de musique.
Après la publication en 2017 de La mémoire en acte. Quarante ans de création musicale, les Éditions MF et le Centre de documentation de la musique contemporaine ont décidé d'un deuxième ouvrage autour de la situation des compositrices en activité en France. Ce livre rassemble 53 portraits de compositrices accompagnés des points de vue de la philosophe Geneviève Fraisse et des musicologues Jacques Amblard, David Christoffel, Florence Launay... Plus d'une soixantaine de contributions inédites sont ici réunies.
Le livre sera présenté sur les chaînes de Radio France (France Culture, France Musique, France Bleu), il fera l'objet de nombreuses rencontres dans les festivals de musiques contemporaines (Présences Radio France, Musica de Strasbourg...).
Le principe d'un tel ouvrage e´tait la possibilite´ d'apprendre sur la fac¸on dont un compositeur majeur de sa ge´ne´ration parvient a` transmettre ce qui pre´side au processus de sa cre´ation musicale. En particulier, l'application remarquable du compositeur a` dire, et non a` expliquer, « ce quelque chose d'avant la musique », cette « part confuse, celle ou` nous ignorons » que Pascal Dusapin de´signe aussi comme « l'innommable », et qui rencontre, au plus pre`s, l'objet de la psychanalyse. Sur le mode de la conversation libre, les entretiens se sont de´roule´s en plusieurs temps, au gre´ d'un d'abord autour de la question du flux, puis du temps, de la trace, de l'inconscient, et enfin de l'inquie´tude et du de´re`glement, devenus les titres qui organisent les diffe´rents chapitres de cette nouvelle e´dition. « Composer est un acte, un acte vivant » disait Pascal Dusapin lors de sa Lec¸on inaugurale au Colle`ge de France. L'audace du compositeur, la distance qu'il prend par rapport au savoir de´ja` institue´, celui de ses mai^tres, cette liberte´ inoui¨e qui pre´side a` sa musique s'entend dans chacun de ces entretiens. Le souci de maintenir une parole cre´ative, porteuse de nouveaute´ rencontre celui de la Jacques Lacan qui savait arracher la psychanalyse a` son repli dans le sommeil de l'orthodoxie.
Tenir l'accord est la nouvelle e´dition du livre d'entretiens re´alise´s par des psychanalystes, membres de l'E´cole de la Cause freudienne, avec le compositeur Pascal Dusapin en 2012, sous le titre Flux, trace, temps, inconscient.
Ont participe´ aux entretiens les psychanalystes, membres de l'E´cole de la Cause freudienne, Valentine Dechambre, François Ansermet, Jacqueline Dhe´ret, Paulo Siqueira, Nathalie Georges- Lambrichs, Serge Cottet, Hugo Freda, ainsi que le peintre Claude Luca-Georges.
Centre´ sur l'AACM de Chicago, association au sein de laquelle est notamment ne´ l'Art Ensemble of Chicago, l'ouvrage d'Alexandre Pierrepont n'a cependant rien d'une monographie. L'AACM n'est pour lui que le moment culminant d'une histoire qui est celle de la « Black Music », des musiques afro-ame´ricaines, et de ce qu'elles ont apporte´ au monde. chaos, cosmos, musique est l'exploration d'un champ qui traverse le XXe sie`cle et qui pre´sente la particularite´ d'e^tre a` la fois musical et social, politique et esthe´tique. La cre´ation y est indissociable d'une expe´rience socio-politique, de la constitution de communaute´s et de groupes qui, chacun a` leur manie`re, inventent d'autres modes d'e^tre ensemble et au monde.
Livre d'anthropologie et d'histoire de la musique, chaos, cosmos, musique l'est en un sens original, celui d'une culture non identitaire, structurellement ouverte a` l'alte´rite´ et l'alte´ration, par principe me´tisse´e et fonde´e sur l'emprunt et la cre´olisation de ses idiomes et de ses pratiques. Alexandre Pierrepont de´ploie pour la penser les ressources de la pense´e afro-ame´ricaine et afro-caribe´enne dont il met en avant, gra^ce a` un pre´cieux chapelet de citations qui jalonne l'ouvrage, la complexite´ et la richesse.
La forme du livre est donc hybride comme l'est son objet. Aux citations qui rythment la lecture s'ajoutent des chroniques de disques de musiciens de l'AACM qui, entre les chapitres, permettent de s'approcher au plus pre`s d'expe´riences musicales singulie`res.
Ouvrage essentiel, tant par son objet que par l'approche qu'il met en oeuvre, chaos, cosmos, musique e´labore par touches successives une ve´ritable pense´e de l'improvisation comme pratique musicale et socio-politique dont l'enjeu ultime est de construire une relation a` l'alte´rite´ la plus radicale, celle du cosmos (rede´fini comme « chaosmos »).
Ce livre a pour objet la répétition dans la musique. Procédé universel, la répétition devient un problème à part entière lorsqu'à l'aube du XVIIe siècle, la musique se charge de réaliser la langue des affections tout en s'épanouissant comme discours. Si la répétition n'est souvent, dans une phrase du langage ordinaire, que pénible et insignifiante redite, et qu'elle n'a jamais, dans le discours, qu'une fonction pauvrement récapitulative, elle trouve au contraire, dans la musique, son lieu d'élection propre, d'où une théorie du désir musical peut être pensée. La musique est le langage où la répétition, de redondance, se transforme en expression, de désagrément, se change en plaisir ; elle est le langage qui ne cesse de répéter sans que jamais la répétition ne se fasse pourtant sentir. C'est que la répétition est expression de part en part, usant de tous les procédés qu'elle n'est pas pour en réaliser l'affect propre et donner à la perception la forme d'un authentique désir.
L'oeuvre du compositeur nord-américain Alvin Lucier se distingue par sa singularité dans le paysage de la création sonore. Éloignées des préoccupations compositionnelles de ses contemporains, ses oeuvres se consacrent toutes à une même étude, celle de l'activité vibratoire des ondes sonores et des multiples phénomènes qui en résultent : écho, diffraction, onde stationnaire, résonance, battement acoustique, etc. Chaque composition ou installation sonore est l'occasion d'examiner patiemment tel ou tel phénomène, de le dévoiler à l'écoute, afin de mieux en saisir la prégnance quotidienne et d'en cerner les propriétés spatiales. Mais au-delà de l'observation esthétique des phénomènes, une telle écoute des mouvements ondulatoires conduit in fine à une double expérience : celle inextricable d'un dehors et des relations constitutives de la perception. Ce livre réunit un ensemble d'entretiens avec Matthieu Saladin où Lucier revient sur son parcours de compositeur, ses années de formation, les enjeux esthétiques de son oeuvre, sa pratique de l'écoute, son rapport à l'expérimentation sonore ou encore son travail d'enseignant. Ils sont précédés d'un essai introductif mettant au jour l'originalité d'une position artistique où la réflexivité perceptive devient la promesse d'un rapport renouvelé au monde.
La nueva novela est un ouvrage majeur de la littérature contemporaine en langue espagnole. Publié à compte d´auteur par le poète et artiste Juan Luis Martínez en 1977 au Chili, un pays alors sous dictature, La nueva novela n´est pas un recueil de poèmes, c´est un objet d´art, mis en page et fabriqué par son auteur, composé de textes et d´images (collages, dessins, photographies) qui se répondent, dans lequel divers objets sont ajoutés (hameçons, drapeau, papier buvard) et diverses opérations effectuées (comme d´ajourer une page afin d´y produire une transparence locale), nécessitant l´intervention de la main sur chaque exemplaire imprimé. Proclamant la disparation de l´auteur (dont le nom est rayé en couverture), multipliant les références, les jeux intertextuels et les réécritures, La nueva novela est un livre insituable, dont la légèreté apparente dissimule le vide central, celui du signe privé de son sens, qui est aussi celui que creuse la dictature.
Premier ouvrage collectif de référence sur le cinéaste Jean-Daniel Pollet (1936-2004), Machine Pollet est également la restitution d'un projet de recherche de trois années menées par des cinéastes, des artistes, des philosophes et des étudiants au sein de quatre écoles d'art. Composé d'essais, de récits, d'entretiens, de dialogues réels et inventés, de journaux de bord et d'expériences poétiques et formelles, il sera accompagné de dix ?lms tournés et montés au cours de ces trois années.
Machine Pollet est un livre double : sur et à partir de Pollet. Essais et entretiens se penchent sur son oeuvre, vaste et plurielle et tentent d'en renouveler et d'en approfondir l'approche. Dialogues, journaux et expériences travaillent à sa suite, reprennent et détournent des objets, des opérations, des idées et des mouve- ments saisis dans son oeuvre pour en faire autre chose.
Comme toutes les machines, la machine Pollet n'a pas de bords : elle produit et elle transforme. Nous l'avons nourrie de tout ce que nous savions de lui et de tout ce qu'il nous a inspiré, de tout ce que nous avons appris et de tout ce que nous avons fat à partir de son oeuvre. Cette machine est exégèse et désir, elle étudie et elle fabrique, elle théorise et elle ?lme.
Arsène possède un don : il voit partout des nombres. Pour lui, la nature s'organise en ordres de chiffres. Mais ce don se révèle être une malédiction qui le mène d'un malheur à l'autre. Amoureux, il tente d'utiliser ce talent pour gagner le coeur de son aimée, qui le rejette. C'est alors que les nombres se mettent à lui parler. Ils vont le conduire sur un chemin étrange et difficile, des forêts de la Lozère aux sommets alpins. Entre conte intiatique et récit d'aventures, Les nombres d'Arsène est l'histoire d'un homme dont la quête insensée, sans qu'il l'ait voulu, changera le monde.
Entre science-fiction et space opéra, Orbital décrit la fuite dans l'espace d'un personnage mystérieux et tyrannique : la Juge. Le récit se déroule pendant l'Ère tropicale. Les popula- tions humaines organisent leur survie en formant des castes et en se claquemurant dans des forteresses ventilées. La Juge décolle sans y avoir été autorisée. Dans l'espace, elle conclut que devenir un réseau d'hologrammes assisté de soldats reproductibles en série est la meilleure manière de s'assurer le contrôle. Contrôle sur les psychés de la flotte, contrôle sur les moindres réactions du coéquipier, contrôle sur les données du prototype, contrôle sur l'architecture du vaisseau et ses trajectoires. La Juge s'efforce de supprimer le dehors, enferme sa mémoire sur des serveurs bunker, la rend inaccessible. Dystopie fascinante, réflexion profonde et salutaire sur les techniques et les enjeux du contrôle, Orbital est la première incursion de son autrice sur le terrain de la science-fiction.
Une narratrice décrit ce qu'elle voit depuis une fenêtre de son appartement. Elle habite à Brest. La fenêtre donne sur la rue, la gare, le port industriel, la mer, la presqu'île d'en face. Elle regarde et observe : le ciel, les vents, les pluies, l'océan, le rayon de soleil qui brusquement fait chatoyer cette toute petite fraction du monde, du vaste monde où s'entrecroisent, se mêlent, se heurtent, s'ignorent, se rencontrent les flux de nos vies. Le texte suit le fil des jours et des saisons et peu à peu, indirectement, à travers ce qu'elle voit et décrit, la spectatrice se raconte. Livre singulier et miraculeux car il suffit de regarder et de dire ce que l'on a vu pour que le monde se déploie et avec lui le « je » qui nous y donne accès.
À un moment où les fronts poétiques et musicaux se déplacent et qu'émergent de nouvelles écritures et de nouvelles pratiques, qu'en est-il du lyrisme ? Si les liens entre le monde de la poésie et celui de la musique dite savante se sont distendus durant tout le XXe siècle, le XXIe siècle semble initier leur rapprochement autrement. D'un lyrisme l'autre voudrait contribuer à rendre audibles et visibles de nouvelles pratiques artistiques, des collaborations, des recherches formelles et des pensées les accompagnant ; il donne dans cet espoir la parole à des poètes et des compositeurs qui ont commencé à penser la création entre poésie et musique que ce soit de façon empirique ou théorique, à répondre aux vieilles questions autrement ou à inventer de nouvelles questions posées au réel, à transformer l'angle d'approche. Car il semble que depuis quelques années de crises politiques en crises écologiques ou sanitaires, le XXIe siècle ait bel et bien commencé et qu'il se cherche une voix.
Qu'est-ce que le corps humain ?
À la fois la plus familière et la plus méconnue des choses, le corps est au centre de l'expérience mais représente également le lieu d'une préhistoire antérieure à toute expérience.
Etrange et inconnu, cet autre aspect du corps a bien trop souvent été négligé par la phénoménologie.
En se confrontant à cette négligence, The Thing redéfinit la phénoménologie en tant qu'espèce du réalisme, nommée phénoménologie inhumaine.
Loin d'être le simple véhicule d'une voix humaine, cette phénoménologie inhumaine permet l'expression d'une matérialité étrangère aux limites de l'expérience.
En associant la philosophie de Merleau- Ponty, Husserl et Levinas à l'horreur de John Carpenter, David Cronenberg et H. P. Lovecraft, Trigg explore la manière dont cette phénoménologie inhumaine place le corps hors du temps. Remettant en question les notions traditionnelles de la philosophie, The Thing fait également écho aux philosophies contemporaines du réalisme. Le résultat n'est ni plus ni moins qu'une renaissance de la phénoménologie redéfinie à travers la focale de l'horreur.