Le théâtre de la cruauté est une attention constante pour Antonin Artaud. Mais après la guerre et le long internement asilaire, sa quête devient désormais une affaire de souffle et de profération, une profération agissante, «perforante», pour «guérir et régenter la vie». Dans ces textes-manifestes écrits et proférés en 1947, l'oralité est pratiquée dans la tentative furieuse de réinventer le langage, mais aussi de se refaire, de se refaire un corps, pour une «révolution intégrale». Contre l'aliénation moderne qui s'exerce jusque dans nos corps, Artaud s'efforce d'être «un définitif aliéné».
Dans Le Renard d'en haut et le Renard d'en bas, le lecteur plonge dans Chimbote, ville côtière du Pérou, aux côtés d'un peuple désorienté par la cruauté du capitalisme. José Maria Arguedas décrit les bouleversements d'une époque, la fin d'un monde où sont emportés les humains et la nature. C'est une oeuvre totale, un roman testamentaire entre journaux et récits où l'on chemine avec la mort. La violence dépeinte y est aussi la tragédie d'un auteur qui clôt son texte sur l'annonce de son suicide. Avant-propos de J.M.G. Le Clézio.
Vous voilà dans la rue, au milieu de la foule. À votre gauche, une camionnette rouge et jaune crachote des slogans. À votre droite, des gens s'affairent autour d'une banderole. On vous tend un tract. Loin devant, vous entendez une clameur. Qu'allez-vous faire ? Écrit à partir d'histoires vécues ou entendues, ce livre dont vous êtes le héros embrasse le temps d'une manifestation. Ballotté.e par le hasard et la foule, vous guetterez ces instants volés à la contrainte et les précieux coups du sort qui forment les rencontres. Ce sont vos choix qui détermineront votre aventure. Vous pourrez y aller et venir à votre guise, volontaire ou à la dérive, et toujours recommencer.
Que nous reste-t-il à espérer dans un monde aussi sombre, dévoré par le fascisme, le contrôle des corps et la marchandise ? Rien. Car tout est déjà-là : pour lutter contre la tristesse, le ressentiment et la haine qui partout gangrènent nos existences, Raoul Vaneigem lance ici un appel à la joie, à la liberté et à l'entraide. Par la poésie qui le caractérise, Raoul Vaneigem continue de tracer le sillon de sa pensée claire et sans concessions. : « Nous faudra-t-il crever de ne pas vivre pour réaliser que ceux qui gèrent nos existences la cancérisent ? »
Les monuments aux morts de la Deuxième Guerre mondiale sont nombreux dans nos villes. Les hommages aux déportés et fusillés sont ritualisés et leur tragédie est l'objet d'un apprentissage scolaire. Pourtant, au coeur de ce « devoir de mémoire » se cache un oubli de taille. Méthodiquement le sort terrible d'une partie de ces victimes a été doublé d'un oubli institutionnel. Parce qu'ils ont été considérés comme coupables de faits de droit commun, la République française a fait de ces hommes et ces femmes des parias de la mémoire et du droit à la réparation. Lucie Hébert nous raconte l'histoire de la mise au ban de ceux qui ont été jugés indignes de la république.
L'écofascisme semble réductible à sa fonction de slogan, utilisé pour critiquer des formes autoritaires ou réactionnaires d'écologie politique. Mais cet usage masque les appropriations concrètes de l'enjeu écologique par les idéologies et organisations fascistes. Car si l'extrême-droite semble à première vue hostile à toute politique écologique il existe bien un risque écofasciste s'adossant à une véritable conviction écologique ainsi qu'à de robustes bases idéologiques.
Ballottée entre un studio miteux, des relations affectives inconsistantes et un travail morne, l'héroïne, trentenaire, s'empêtre avec étonnement dans des normes sociales bancales. Dans une langue précise, Popier Popol cerne avec un humour implacable l'absurde et la violence de la vie quotidienne.
Dans plusieurs de ses interventions, Raoul Vaneigem questionne les insurrections mondiales en oeuvre depuis 2018 pour en montrer la similaire actualité : se défaire de la tyrannie du monde marchand. Dans ces textes et entretiens, dans ces analyses, inédites, au plus proche de l'actualité, l'auteur montre l'urgence qui est la notre de jeter nos forces dans ce combat pour faire éclore la poésie de la vie émancipée.
Ouvrir un espace vital à celles et ceux que paralysent le désarroi et l'angoisse du futur, n'est-ce pas la pratique poétique qui fait l'insolente nouveauté de l'insurrection de la vie quotidienne ? Ne la voyons-nous pas dans la déperdition du militantisme, dans l'érosion de ce vieux réflexe militaire qui multiplie les petits chefs et leurs troupeaux apeurées ? Sous la diversité de ses prétextes, l'unique revendication qui s'exprime aujourd'hui sans réserve, c'est la vie pleine et entière.
Dans la pénombre sécuritaire de l'époque, la question de la répression est devenue centrale. Sur fond d'écrasement de toutes les oppositions et d'états d'urgence illimités, il est désormais largement admis que le pouvoir ne tient que par sa police. Si la question du maintien de l'ordre est désormais sur le devant de la scène médiatique, il s'agit de l'aboutissement d'un processus qui s'étend sur plusieurs décennies, dont les banlieues, puis les protestations indociles ont été les laboratoires. Alors que l'horizon ne cesse de s'obscurcir et le régime policier d'étendre sa toute puissance, ce livre retrace la généalogie d'une militarisation du maintien de l'ordre, et propose des pistes pour y résister.
Au tournant des années 1970-80 s'est formée la «première vague» de l'abolitionnisme pénal. Elle a profondément renouvelé le champ de la criminologie critique et les réflexions sur le crime, la peine et la prison. Les auteurs «classiques» de l'abolitionnisme sont encore peu connus en France. À partir de textes majeurs de Nils Christie, Louk Hulsman et Ruth Morris inédits en français, Gwenola Ricordeau fait découvrir ce courant de pensée qui inspire aujourd'hui les mouvements pour l'abolition de la police et de la prison, mais invite aussi à repenser la peine et le statut de victime.
Ségréguée, paupérisée et vidée, Cleveland est passée du statut de métropole florissante à celui de cauchemar urbain. Massivement démolis, ses quartiers noirs sont progressivement rendus à la nature. Les conservateurs y extraient les dernières richesses tandis que racisme et austérité avancent masqués derrière des algorithmes. De ce paysage dystopique, une vision alternative émerge pourtant : celle d'un futur agricole et coopératif. Dix ans après le crash déclenché par l'effondrement des subprimes, ce livre offre une plongée dans l'épicentre de la dernière crise globale. En donnant la parole à celles et ceux qui sont confrontés au déclin extrême, il cherche à éclairer l'Amérique urbaine abandonnée.
En 1964, Marcuse publie L'Homme unidimensionnel dans lequel il analyse les mutations de la consommation et la réalisation d'un consensus social-libéral épuisant la critique et les potentialités révolutionnaires : la classe ouvrière aurait été parfaitement intégrée au processus de stabilisation de la société de classe, déplaçant l'enjeu révolutionnaire vers les marginaux, la contre-culture et l'intelligentsia.
Paul Mattick (1904-1981), un des plus grands penseurs marxistes et conseillistes américains, y répond en montrant les limites de l'intégration prolétaire dans le capitalisme. Un texte de 1969 d'une actualité déconcertante au regard des soulèvements populaires contemporains de par le monde.
L'automation du travail alimente la nouvelle mythologie capitaliste. Quand cette technologie révolutionnaire sera totalement implantée, débutera une nouvelle ère de création prodigieuse de richesse. Voilà ce que l'on nous dit. Le monde des voitures, des villes, des maisons, des hôpitaux connectés pourrait aussi se révéler être un monde de chômage, de misère, de précarité pour beaucoup, si ce n'est pour une majorité de la population.
Cet ouvrage pose la question de savoir si le travail peut se débarrasser de l'humain, si un monde de machines est désirable.
Né en Algérie près de Maghnia en 1953, Mohammed Kenzi débarque en France pendant la guerre. En 1960 il y rejoint, avec sa famille, son père devenu ouvrier et parti quelques années auparavant. Dans le bidonville, il voit la terreur se poursuivre par la misère et le racisme. L'intensité de l'écriture répond à celle du quotidien : des violences familiales à l'autorité brutale du père, de l'école buissonnière aux terrains vagues, des luttes étudiantes aux concerts de free jazz. Ce monde, pas si lointain, est celui dans lequel la vie se fraie un chemin malgré l'épaisseur du béton.
La grève a toujours eu des ennemis. Des forces s'agrègent pour lui faire perdre en légitimité et en opérativité. On la renvoie à l'archaïsme, à une contrainte antidémocratique faite aux "usagers", à une mauvaise stratégie, à une forme de violence. Elle s'est sclérosée dans les mains d'organisation syndicales. Mais si elle conserve sa force subversive c'est parce qu'elle n'existe qu'en imposant une remise en cause de l'ordre établi.
C'est pourquoi, du mouvement contre la loi travail au mouvement des gilets-jaunes, la grève a retrouvé sa puissance : elle est la mise en oeuvre de notre légitimité contre un ordre qui nous assujettis, elle est le foyer d'une communauté de sens.
Le manifeste différentialiste fut publié pour la première fois en 1970 (Gallimard). Cinquante ans après sa sortie, les éditions Grevis ont trouvé dans ce texte une acuité au présent. Les revendications identitaires et micro-identitaires semblent aujourd'hui freiner les luttes collectives. Mais l'identité, d'après Henri Lefebvre, ne fonctionne pas tant par différence que par distinction.
La différence au contraire procède de l'affirmation et du dépassement. Si le retour de Lefebvre dans le champ des théories de l'émancipation arrive enfin en France, bien souvent cet ouvrage majeur est mis de côté. Il propose pourtant une hypothèse stratégique déterminante : la différence est révolutionnaire.
La compensation écologique se présente comme la solution permettant de concilier développement économique et protection de la nature. Sa logique est simple : si un projet d'aménagement dégrade l'environnement, il suffit de mettre en place un certain nombre de mesures environnementales qui permettraient de compenser ces dommages.
Loin d'être politiquement neutre, ce dispositif repose en fait sur une logique faisant des aménageurs les principaux acteurs de la protection de la nature. Ce livre permet de comprendre comment les bétonneurs du monde se saisissent de la question environnementale, pour la reformuler à leur avantage - hypothéquant durablement un avenir réellement écologique.
Chroniques du Désert est un collectif mouvant s'attachant à documenter l'époque. Dans Le Désert Urbain nous publions des enquêtes politiques sur la thématique urbaine. Les transformations de l'urbanisme capitaliste se font écho d'une métropole à l'autre dans la démesure de cette mise en ordre économique mais aussi dans l'intensité des contre-mondes qui s'y dévoilent.
Chroniques du désert s'inscrit aussi dans une tradition de réflexion sociale en rééditant un entretien avec Henri Lefebvre sur la violence politique et le terrorisme toujours éclairant aujourd'hui. Enfin, nouvelles, poèmes, entretiens ponctuent cet ouvrage se concluant par un manifeste pour l'enquête politique.
Édition illustrée par Christophe Halais et Lignes de fuite.
Hinterland, c'est l'arrière-pays américain, peuplé de batteuses à grains imposantes et de fermiers courbés, où des ouvriers venus de tous les coins du monde se pressent dans des usines et des «centres de distribution». Poussée par une crise socio-économique sans cesse croissante, la structure de classe américaine se recompose dans de nouvelles géographies de race, de pauvreté et de production. Le centre est tombé. Des émeutes ricochent de villes en villes. Les anarchistes détruisent les centres financiers alors qu'une extrême droite renaissante renforce le pouvoir dans les campagnes. S'appuyant sur son expérience directe des troubles populaires récents, du mouvement Occupy à la vague d'émeutes et de blocus qui a commencé à Ferguson, Phil A. Neel offre une vue rapprochée de ce paysage dans tous ses détails sinistres mais captivants.
À la veille de l'élection américaine, Phil A. Neel nous livre ici les clés pour lire le conflit de classes et sa nouvelle géographie aux États-Unis.
Nos corps sont tenus en laisse et leurs débordements ne sont pas toujours la cause d'une libération. Si la pensée a bien des fois réinstaurée le corps comme l'expression même de la vie, elle l'a souvent fait au prix de la répression. Le corps torturé de la sorcière, les corps anéantis des hérétiques, les corps enfermés des sexualités... Donner la parole aux corps, c'est pour nous la possibilité de penser ensemble la multiplicité des choses qui lui sont liées. Au travers de fictions et d'enquêtes sociales, philosophiques, géographiques, littéraires, nous interrogeons comment l'attention aux corps dévoile l'intention répressive et ouvre aux horizons révolutionnaires.
Chroniques du Désert est un collectif mouvant d'enquêtes politiques, sociales et philosophiques. Chaque publication comporte un dossier thématique et accueille des varias.
Cette publication est illustrée par Vincent Denis.
Sana est un roman pluriel tressé autour d'une même figure féminine à deux âges opposés. Lulu, jeune enfant, tuberculeuse, enfermée au sanatorium de Roscoff, dont le flux intérieur des pensées, souvenirs, peurs et joies répond à son immobilité. Lulu, l'enfant devenue vieille femme, acariâtre, enfermée chez elle à Danjoutin, cherchant à atteindre sa fille en lui envoyant des collages hétéroclites de textes et d'images.
Moins qu'un récit biographique, ce roman parie qu'une mémoire se constitue aussi de souvenirs qui ne nous appartiennent pas, ou plus. Non pas un récit de soi mais un récit où l'expérience et les souvenirs - et en premier lieu le traumatisme - sortent le sujet de ses gonds.
Le surgissement du SIDA à partir de 1982 naura pas pour seul effet de propager la mort, il met aussi en plein jour une communauté homosexuelle qui vivait encore dans lombre. À Paris, la brasserie new-yorkaise Les anges des lombards est réputée comme le lieu atypique où lon peut croiser prostituées, homo, fêtards, célébrités. Une bulle de délire, un ballet orchestré par de jeunes serveurs qui se libèrent du corset social. François Gilloire nous plonge dans cette ambiance où le SIDA au milieu de la rumeur et de linconnu dévaste tout. Son témoignage, rare, dévoile leffroi créé par lépidémie autant que la solidarité indéfectible qui liera cette première ligne. Prix du roman-récit Gay 2022