« Conçu à la mi-mars 1821 d'un coup de reins que j'ai toujours eu quelque peine à imaginer je suis né le mercredi 12 décembre à quatre heures du matin. Il neigeait sur Rouen, une légende familiale prétend que ma mère se montra si stoïque pendant le travail qu'on pouvait entendre tomber les flocons sur les toits de la ville. Quant à moi, je serais bien resté quelques années de plus dans le ventre à l'abri de l'imbécillité du monde.
Désespéré de naître j'ai poussé un atroce hurlement. Épuisé par mon premier cri je semblais si peu gaillard qu'on attendit le lendemain pour me déclarer à l'état civil car si j'étais mort entre-temps on en aurait profité pour signaler mon décès par la même occasion ».
Le 8 mai 1880 au matin Gustave Flaubert prit un bain. Il décéda peu après dans son cabinet de travail d'une attaque cérébrale sans doute précédée d'une de ces crises d'épilepsie dont il était coutumier. Allongé dans l'eau il revoit son enfance, sa jeunesse, ses rêves de jeune homme, ses livres dont héroïnes et héros viennent le visiter. Il se souvient d'Élisa Schlésinger, la belle baigneuse de Trouville qui l'éblouit l'année de ses quinze ans, de Louise Colet dont les lettres qu'il lui adressa constituent à elles seules un chef-d'oeuvre mais aussi de l'écrivain Alfred Le Poittevin qui fut l'amour de sa vie.
Elles sont trois soeurs : Madeleine, Denise et Simone Jacob, rescapées des camps de la mort. Madeleine, dite Milou, et Simone déportées avec leur mère Yvonne parce que juives à Auschwitz et à Bergen-Belsen ; Denise, à Ravensbrück. Rapatriées en mai 1945, Milou et Simone apprennent à Denise, déjà rentrée, que leur mère est morte d'épuisement. De leur père, André, et de leur frère Jean, elles espèrent des nouvelles. Déportés en Lituanie, ils ne reviendront jamais.
Pour les soeurs Jacob, le retour est tragique. À la Libération, on fête les résistants, mais qui a envie d'écouter le récit des survivants ? Milou et Simone ne rencontrent qu'indifférence, incompréhension et gêne, alors elles se taisent. Mais, peu à peu, la vie reprend ses droits. Les jeunes femmes semblent heureuses quand, en 1952, Milou meurt dans un accident de voiture. Denise et Simone restent les deux seules survivantes d'une famille décimée. Plus que jamais inséparables.
Dans ce récit poignant, Dominique Missika éclaire la jeunesse des filles Jacob, toutes trois si belles et si vaillantes, et raconte ce qui a souvent été tu : la difficulté de certains déportés à trouver une place dans la France de l'après-guerre. À partir de ses souvenirs personnels et d'archives inédites, l'auteure, qui a été proche de Simone Veil devenue une icône républicaine, et de Denise Vernay, combattante inlassable de la mémoire de la Résistance et de la déportation, dévoile ici un pan intime et méconnu de l'histoire de ces soeurs admirables.
En 1947 éclate à Madagascar une insurrection considérée comme le signe avant-coureur de la décolonisation en Afrique. Elle est très violemment réprimée, mais se poursuit jusqu'à la fin 1948. Octave Mannoni, qui vit dans le pays, écrit alors ce texte fondateur, qui constitue une critique radicale du colonialisme. Il y montre, par la voie de la psychanalyse et de la psychologie, comment les images que le colonisateur s'est fabriquées du colonisé le nient : « Le Nègre, c'est la peur que le Blanc a de lui-même. » Mannoni analyse le mécanisme de dépendance unissant le colonisé au colon par l'écran imaginaire que chacun a dressé entre lui et l'autre. La perspective anthropologique est donc aussi essentielle dans cette réflexion que les préoccupations politiques qui l'ont motivée.
Cette analyse, totalement nouvelle en 1950, provoqua de vigoureuses critiques d'Aimé Césaire et de Frantz Fanon, qui visèrent particulièrement le « complexe de dépendance » du colonisé. Mannoni y répondit dans des articles ou de nouvelles introductions aux rééditions successives du livre, dont cette nouvelle édition rend compte. Aucune analyse du racisme n'est neutre, il le sait. C'est donc aussi une « décolonisation de soi-même » qui s'impose, toujours à recommencer, comme il l'écrira dans un article ultérieur, donné ici à la suite du livre.
Octave Mannoni (1899-1989), psychanalyste, était aussi philosophe et ethnologue, une polyvalence qui l'a installé comme une voix originale dans le champ de la psychanalyse française.
Voici un livre de grâce, porté par la grâce.
Comme un funambule qui avance, yeux grands ouverts, sur une corde au-dessus du vide, Bulle Ogier parcourt les étapes de sa vie d'enfant, de femme, d'actrice, de mère. Une vie jamais banale, pour le meilleur (l'art, la création, la fréquentation de grandes figures comme Duras, Rivette ou Chéreau), ou pour le pire (la mort de sa fille Pascale, évoquée avec délicatesse et intensité).
On pourrait énumérer les péripéties, les événements, établir des listes, mais un seul mot dit à quelle expérience le lecteur est convié : enchantement. Sur un ton qui n'appartient qu'à elle, l'actrice de tant de films, de tant de mises en scène théâtrales, la protagoniste de tant d'aventures, exerce une sorte de magie, on est avec elle, on est parfois effaré, et toujours touché, ému, bouleversé. On rit aussi, ou on sourit. Bref, les mystères parfois contradictoires de la vie, mis en langue : ce qu'on appelle, simplement, la littérature.
Anquetil est mystérieux là où tous les autres sont clairs : aime-t-il vraiment le vélo ? Cherche-t-il à être populaire ? Jusqu'où serait-il disposé à aller pour remporter un autre victoire ? Se sent-il vraiment bien à traîner au fond du peloton ? Pourquoi ignore-t-il le nom de la plupart des coureurs qui roulent auprès de lui ? Qu'en est-il vraiment de cette rivalité avec Poulidor que les médias fabriquent et qui partage la France en deux ?
En revanche, Anquetil est très clair sur ce qui est le secret de beaucoup : il se dope et le dit. Il aborde la course en professionnel et s'en donne tous les moyens. Il respecte ses adversaires, il explique même que Raymond Poulidor est capable de gagner le Tour de France à la seule condition que lui-même ne soit pas au départ, car il est aussi un terrible psychologue qui sait peser les hommes.Dans la vie, il est un seigneur. Modeste d'origine, simple tourneur de formation, il a des allures et des façons de Prince. L'élégance, la distance, la finesse, le charme sélectif, constituent son ordinaire. Dès qu'il en a les moyens, il se donne une vie de château. Il la partage avec la belle et mystérieuse Janine, ex-femme de son meilleur ami, mère de deux enfants, devenue Madame Anquetil dans le confort et le luxe. Encouragera-t-elle la liaison de son mari avec sa fille dont une enfant naîtra? Couvrira-t-elle la liaison de Jacques avec la femme de son fils?
Voici le récit d'une vie brûlante, écrit à la hâte dans sa cellule par une jeune femme de vingt-neuf ans qui se doute qu'elle va mourir : « Si je raconte tout cela avec tant de franchise, c'est parce que je m'attends de toute manière à être fusillée. » Elle le sera en effet, en juin 1931, au « camp à destination spéciale » des îles Solovki, quelques mois après son mari le poète Alexandre Iaroslavski.
« Étudiante pleine de rêves », ainsi qu'elle se définit elle-même, Evguénia, vite dégoûtée par la dictature des bolchéviks, se convainc que le monde des voyous forme la seule classe vraiment révolutionnaire. Elle décide de vivre dans la rue et de devenir une voleuse, à la fois par conviction politique et aussi par un goût du risque qu'elle confesse. Loin de l'imagerie héroïque de la « construction du socialisme », c'est le Moscou et le Léningrad des marginaux, enfants des rues, ivrognes, prostituées, vagabonds, qu'elle nous fait découvrir dans une langue sans fioritures.
Je n'avais jamais imaginé combien les agressions sexuelles commises contre un enfant pouvaient détruire sa vie d'adulte. J'étais choqué par le scandale de tels crimes, surtout quand ils sont perpétrés par des hommes d'Église. Je m'en étais tenu là jusqu'au jour où m'est revenu d'un coup ce qu'un prêtre m'avait fait subir pendant mon enfance. J'avais été enfermé dans le déni pendant près de quarante ans. Parce que j'avais porté plainte et que j'avais enfin parlé, j'ai cru pouvoir guérir, mais tout s'effondrait. Dans les décombres de mon histoire, revenait une question lancinante : comment avais-je bien pu choisir de devenir prêtre à mon tour??
"Je me suis levé ce matin en pensant que la journée allait être bonne. Je crois que je me coucherai ce soir en me disant que je suis le plus heureux des hommes. Comment ne pas frissonner un peu à cette idée ?
Je suis riche, incommensurablement riche de ce qui manque à presque tout le monde : le temps".
Ce journal est celui d'un âge d'or.
Choisir de vivre à la campagne loin des milieux littéraires et parisiens.
Regarder par la fenêtre pousser les fleurs de son jardin, au rythme des saisons.
Prendre le temps de vivre sa vie, d'admirer sa compagne, d'aimer son enfant.
Écrire en pensant qu'on sera, un jour peut-être, reconnu.
Philippe Delerm n'a tenu son journal qu'une seule année de sa vie. Il avait 37 ans. Bien longtemps avant l'ouragan du succès de La Première Gorgée de bière. "Je n'ai sans doute jamais été plus heureux que cette année-là."
- Papa, je voudrais faire une enquête sur les maos, qui faudrait-il interviewer à ton avis ?
Il a grimacé.
-On ne parle plus jamais du maoïsme en France, et toi, qui en étais une des têtes pensantes, tu es devenu silencieux. J'aimerais demander à ceux qui militaient avec toi alors, ce qu'ils pensent de ton silence.
Haussement d'épaule.
-Tu sais papa, moi, quand tu t'es arrêté de parler, j'avais quinze ans. À quinze ans, on a beaucoup de souvenirs. Arrête de penser que parce que tu parais vivre sans mémoire, c'est pareil pour tout le monde !
Il me regarde, il a les larmes aux yeux.
- C'est notre secret ma petite fille.
- C'est quoi notre secret ?
- Que tu saches tout ça, et que moi je ne parle plus.
Je suis la fille de Robert Linhart, fondateur du mouvement prochinois en France et auteur de L'Etabli. Mon père est une des figures les plus marquantes des années 1968. Malheureusement, il en est aussi l'une des figures les plus marquées.
En chemin pour retrouver les anciens compagnons de mon père, j'ai découvert leurs enfants. À travers leurs souvenirs, c'est ma propre enfance qui a ressurgi : tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents révolutionnaires.
VL
« ... J'attrape la corde lisse, je lâche le trapèze. Je ne sais pas que c'est la dernière fois que je risque ma vie, là-haut, à quinze mètres de hauteur, sans sécurité. J'enroule ma jambe autour de la corde, je commence à glisser...
Dans quelques semaines, je rencontrerai un homme.
Je glisse le long de la corde, un extatique sourire aux lèvres...
Nous vivrons, travaillerons ensemble, il me convaincra de faire des enfants.
Je glisse encore le long de la corde, je touche le sol, je salue...
La somnambule a atterri.
Il était grand temps que je descende sur terre. »
Gerda Taro a longtemps été la grande oubliée du photo reportage. Dans les milieux de la photo et
dans ceux liés aux recherches sur la Guerre d'Espagne, elle est surtout connue comme la
compagne de Robert Capa, morte écrasée par un char sur le front de Brunete alors qu'elle n'avait
que vingt-sept ans. C'est la première femme photo-reporter tuée au combat. Ses photos pour les
journaux français de l'époque : Regards, Vu et Ce Soir, sont signées pour la plupart Capa et Taro.
Après sa mort, elles portent le copyright Robert Capa. Pendant une cinquantaine d'années, elles
restent oubliées dans les archives du fonds Capa et de l'International Center of Photography de
New York, dirigé par le jeune frère de Capa, Cornell Capa. Ce n'est qu'au milieu des années quatrevingt
dix que le travail de recherche d'une allemande, Irme Schaber, les tire de l'oubli en même
temps que leur auteur, Gerda Taro.
Figure emblématique du courage, de la liberté, de la beauté, il n'est pas étonnant que sa
personnalité ait séduit François Maspero qui lui rend ici un magnifique hommage où se mêlent
données biographiques et essai sur les milieux intellectuels, politiques et artistiques des années
trente. Le livre aboutit en fait à une réflexion sur le rôle du photo-reportage dans le changement de
l'information. En effet, ce que souligne Maspero à travers les figures ô combien séduisantes de
Gerda Taro et de Robert Capa, c'est que l'utilisation du Leica et du Rolleiflex et de la
télétransmission a permis de saisir l'actualité sur le vif.
Celui qui se rêve comme un héros balzacien semble avoir réussi. Dans les milieux politiques, Éric Zemmour fascine. Dans les milieux financiers, il intéresse. Les cercles catholiques ultras et influents l'adulent. L'édition et la télévision assurent une place privilégiée à cet essayiste aux idées les plus conservatrices. Comment ce garçon timide d'origine modeste est-il devenu le nouveau héraut des « grands remplacés » et le chantre d'une France en proie au ressentiment ?
Enquête sur un homme en guerre contre l'État de droit, dont le parcours témoigne autant de la métamorphose d'une droite et d'une extrême droite prêtes à mener la bataille que du basculement secret d'une partie des élites vers ses idées.
Man Ninotte, la mère de l'auteur, meurt le 31 décembre 1999. Cet événement emporte l'écrivain dans une vaste réflexion poétique sur la Martinique, les origines de l'homme, l'évolution contemporaine du monde. La vie de cette femme énergique et lyrique lui permet d'évoquer le destin du peuple antillais, depuis la cale des bateaux négriers jusqu'au cauchemar des plantations où les victimes durent inventer de nouvelles formes de résistance.
Le livre se structure à partir d'évocations de la vieillesse, de la mort, des obsèques de Man Ninotte, qui permettent des explorations de la petite enfance de l'auteur, associée à de multiples origines, celles de la Caraïbe, celles des Amériques, celles de l'humanité. Le défi qu'il se lance - de mener de front un récit très intimiste, souvent bouleversant, sur sa famille, dominée non seulement par la mère, mais aussi par la soeur aînée surnommée "la Baronne", et une analyse qui remonte au temps préhistorique de l'Homo sapiens, jusqu'à une géopolitique de l'urbanisme, du paysage, du rapport entre les cultures - est parfaitement relevé, avec tendresse, humour et légèreté.
Parfois intervient "la Baronne" à laquelle le narrateur s'adresse et qui apporte une touche de dérision à l'intellectualisme de son frère. Mais il n'en est pas perturbé et poursuit ses réflexions sur différents sujets : la mort, mais aussi les marchés, les petits magasins, les repas, les vêtements ,les carnavals, l'école, l'église, la danse et la musique. Avec en arrière-plan cette origine tragique (appelée "digenèse" par Edouard Glissant) qui n'est autre que le ventre du bateau négrier : lieu terrible d'une initiation à une autre poétique de l'existence au monde.
"Ce que les poètes écrivent ne constitue que les décombres de ce qu'ils ont su vivre. Et ce qu'ils ont su vivre n'est que l'écume de ce qu'ils ont pu deviner et dont le manque leur reste à vie, comme le sillage d'une lumière ." Celle sans doute d'un très grand livre.
« Un jour, ce conflit trouvera sa résolution, mais la réalité quotidienne est pratiquement insupportable. Je ne pouvais plus la tolérer en restant assis à mon bureau. Je me sens responsable des atrocités commises, en mon nom, par la moitié israélienne de l'histoire. Laissons les Palestiniens prendre leurs responsabilités face à celles que l'on commet en leur nom. De notre côté, il y a l'entreprise, toujours en cours, des colonies installées sur une terre annexée. Et cette forme de violence, qui a fait des ravages dans tous les Territoires, s'accompagne d'une violence aussi inacceptable du coeur et de l'esprit : l'égoïsme borné et autosatisfait du nationalisme moderne. » L'auteur de ces lignes est historien, poète et écrivain, professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, membre de l'Académie des sciences.
Au tournant du millénaire, peu après la deuxième intifada, David Shulman devient, avec ses amis palestiniens et israéliens l'un des fondateurs d'un mouvement menant des actions de solidarité au jour le jour, mouvement de protestation civile pour la paix qui s'inspire de la tradition de non-violence de Gandhi et Martin Luther King. Son nom : Ta?ayush, en arabe « coexistence », de ta?ayasha, « vivre ensemble ». Il n'est pas indifférent que ce mouvement ait choisi de se donner un nom arabe - plutôt qu'hébreu ou anglais.
Se refusant à un optimisme lénifiant, le poète militant recommande « le désespoir comme point de départ ». De ce « sombre espoir » naît une lucidité qui prend la forme d'une inquiétude dynamique.
La vie exceptionnelle d'une femme exceptionnelle.x Textes rassemblés et présentés par Tzvetan Todorov. Décédée en avril 2008 à l'âge de cent ans, Germaine Tillion a connu un destin exceptionnel. Ethnologue et historienne, elle fut aussi l'une des premières résistantes en France, avant d'être déportée à Ravensbrück. Au moment de la guerre d'Algérie, elle se bat pour empêcher l'horreur dans un pays qu'elle connaît fort bien pour en avoir fait son terrain de recherches. Si Germaine Tillion a ponctuellement raconté des épisodes de son existence dans les divers livres qu'elle a écrits, le lecteur ne disposait jusqu'à présent d'aucun récit continu de sa vie. Voilà un vide qui est désormais comblé avec le présent volume. Composé aux deux tiers de textes inédits issus des archives récemment classées, l'ouvrage est mis en scène par Tzvetan Todorov : six séquences (Les débuts, Ethnologue en Algérie, Résistance et prison, Déportation, Après le camp, La guerre d'Algérie) se succèdent, précédées chaque fois d'une brève présentation. Au-delà du récit d'une vie qui frappe par son intensité, ce livre apporte aussi la démonstration des talents d'écrivain de Germaine Tillion
Peu de figures universellement célébrées sont aussi mal connues que Martin Luther King Jr. La lutte dont le pasteur baptiste prit la tête en faveur des droits civiques et de l'égalité des Noirs est remémorée comme un appel à la fraternité et à la réconciliation nationale que l'Amérique sut entendre. Entre hagiographie et mythification historique, ce récit édifiant a considérablement aseptisé la force révolutionnaire de sa pensée et la brutalité de l'oppression à laquelle elle se heurtait. Qui se souvient qu'à peine un an après avoir reçu le prix Nobel de la paix, King déclara que son rêve était devenu un cauchemar en raison de l'enracinement du système d'exploitation capitaliste ?
La fin de la ségrégation institutionnelle en 1964 n'était à ses yeux qu'une étape. Mais l'ultime phase de son combat, qui culmina avec la « campagne contre la pauvreté » et que son assassinat en 1968 laissa inachevée, fut quasiment effacée de la mémoire des États-Unis et avec elle le sens profond de son engagement. Théoricien de la justice sociale, par-delà race et classe, Martin Luther King opéra une extraordinaire synthèse entre christianisme, liturgie noire, non-violence, désobéissance civile et marxisme.
C'est ce penseur avant-gardiste et radical à la postérité édulcorée que cet ouvrage entend faire redécouvrir en l'inscrivant dans une tradition de dissidence américaine méconnue.
L'itinéraire de frantz fanon, né antillais, mort algérien, et son témoignage de psychiatre, d'écrivain, de penseur politiquement engagé reviennent éclairer les désordres et les violences d'aujourd'hui.
Fanon est mort à 36 ans, à un âge où souvent une vie d'homme ne fait que commencer. mais toutes ses mises en garde aux pays colonisés en voie d'indépendance se sont révélées prophétiques. de même, ses réflexions sur la folie, le racisme, et sur un universalisme confisqué par les puissants, à peine audibles en son temps, ne cessent de nous atteindre et de nous concerner. l'auteur des " damnés de la terre " a produit une oeuvre " irrecevable ".
Son propre parcours ne l'était pas moins et la manière dont il s'interrogeait sur " la culture dite d'origine ", sur le regard de l'autre et sur la honte n'a pas toujours été reconnue. particulièrement qualifiée pour dresser ce portrait biographique et intellectuel, alice cherki a bien connu frantz fanon, travaillé à ses côtés, en algérie et en tunisie, dans son service psychiatrique, et partagé son engagement politique durant la guerre d'algérie.
Elle nous apporte son témoignage distancié sur un fanon éveilleur de consciences, généreux sans concessions, habité par le sentiment tragique de la vie et par un espoir obstiné en l'homme. alice cherki. née à alger d'une famille juive, elle a participé activement à la lutte pour l'indépendance. psychiatre et psychanalyste, elle est coauteur de deux ouvrages, " retour à lacan ? " (fayard, 1981) et " les juifs d'algérie " (éditions du scribe, 1987).
Elle a publié plusieurs articles portant sur les enjeux psychiques des silences de l'histoire.
Quand en janvier 2014, Henning Mankell apprend qu'il est atteint d'un cancer grave, il entame un « journal de bord » qu'il tiendra durant les 5 mois de traitement jusqu'à l'annonce d'une rémission.
Le résultat : un texte hybride foisonnant, constitué de 67 fragments qui fait souvent référence - mais pas seulement - aux moments où sa vie a basculé, ce qu'il appelle « le sable mouvant », et où surmontant la tentation du gouffre, il a organisé sa résistance, suivi de la chimiothérapie, jusqu'à l'annonce du répit salvateur.
Il s'agit plutôt d'un déferlement prolifique, libre et ordonné à la fois, dont le fil conducteur est Mankell lui-même - sa perception du monde, de la vie, de la mort, de sa propre histoire et de celle de l'humanité, une perception transformée par l'épreuve, au fil de ces quelques mois.
Citons quelques thèmes récurrents parmi beaucoup d'autres :
- la grotte, thème à 2 dimensions qui touchent aux origines et au devenir de l'espèce. D'un côté le monde fascinant des peintures rupestres et des 1ers artistes de l'humanité ; de l'autre le problème du stockage souterrain des déchets nucléaires pendant les 100 000 ans à venir (le temps qu'ils cessent d'être une menace mortelle pour nos descendants) ;
- les ères glaciaires passées et à venir ;
- la radioactivité ;
- l'Afrique et autres destinations : Paris, Salamanque, la Crète. ;
- quelques épisodes inédits sur l'enfance, les rapports avec la mère qui l'a abandonné enfant, une expérience amoureuse absolue, inoubliable, confidence unique, inouïe de la part de Henning Mankell ;
- partout, tout le temps la question de la mort, la peur de mourir, l'envie de vivre abordées explicitement.